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Il y a là comme une aspiration vers l’égalité civile, l’unité judiciaire, l’unité commerciale et la liberté industrielle de nos jours. En même temps, le tiers-état de 1615 renouvelle les protestations de 1588 et de 1576 contre l’envahissement par l’état des anciens droits municipaux. Il demande que les magistrats des villes soient nommés par élection pure, sans l’intervention et hors de la présence des officiers royaux ; que la garde des clés des portes leur appartienne, et que partout où ils ont perdu cette prérogative, ils y soient rétablis ; enfin, que toutes les municipalités puissent, dans de certaines limites, s’imposer elles-mêmes, sans l’autorisation du gouvernement[1]. Si l’on cherche dans les cahiers des trois ordres en quoi leurs vœux s’accordent et en quoi ils différent, on trouvera qu’entre le tiers-état et le clergé la dissidence est beaucoup moins grande qu’entre le tiers-état et la noblesse. Le clergé, tiré d’un côté par l’esprit libéral de ses doctrines, et de l’autre par ses intérêts comme ordre privilégié, ne suit pas en politique une direction nette ; tantôt ses votes sont pour le droit commun, la cause plébéienne, le dégrèvement des classes pauvres et opprimées ; tantôt, lié à la cause nobiliaire, il demande le maintien de droits spéciaux et d’exemptions abusives. Dans les questions de bien-être général, d’unité administrative et de progrès économique, il montre que la tradition des réformes ne lui est pas étrangère, qu’il n’a rien d’hostile au grand mouvement qui, depuis le XIIIe siècle, poussait la France, par la main des rois unis au peuple, hors des institutions civiles du moyen-âge. En un mot, ses sympathies évangéliques, jointes à ses sympathies d’origine, le rapprochent du tiers-état dans tout ce qui n’affecte pas ses intérêts temporels ou l’intérêt spirituel et les prétentions de l’église. C’est sur ce dernier point, sur les questions du pouvoir papal, des libertés gallicanes, de la tolérance religieuse, du concile de Trente et des jésuites, et presque uniquement sur elles qu’un sérieux désaccord se rencontre dans les cahiers du tiers et de l’ordre ecclésiastique[2].

Mais, entre les deux ordres laïques a divergence est complète ; c’est un antagonisme qui ne se relâche qu’à de rares intervalles, et qui, vu du point où nous sommes placés aujourd’hui, présente dans les idées, les mœurs et les intérêts, la lutte du passé et de l’avenir. Le cahier du tiers-état de 1615 est un vaste programme de réformes dont les unes furent exécutées par les grands ministres du XVIIe siècle, et dont les autres se sont fait attendre jusqu’aux jours de 1789 ; le cahier de la noblesse, dans sa partie essentielle, n’est qu’une requête en faveur de tout ce qui périssait ou était destiné à périr par le progrès du temps

  1. Cahier du tiers-état, art. 593, 594 et 528.
  2. Les concessions faites là-dessus par la noblesse furent ce qui lui gagna l’alliance du clergé dans sa querelle avec le tiers-état.