Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’impiété. Tâchez donc d’être un peu justes, messieurs ! Vos paroles n’ont-elles jamais dépassé vos intentions ? Avez-vous eu toujours, vous, si violens dans vos écrits, l’exacte mesure du langage dans les conversations du coin du feu ? Ne vous serait-il donc pas possible, sans avoir besoin d’aller là-dessus jusqu’où vont vos casuistes, de distinguer à l’égard de vos adversaires ce qui est le fond et l’état ordinaire de l’ame de ce qui n’en est que le caprice passager ? Le sentiment d’une injustice soufferte ne peut-il arracher de ces expressions, comme à chaque instant la partialité vous en arrache de plus vives et de plus amères ? Allons, souvenez-vous de vous-mêmes, et il ne vous faudra que bien peu de justice pour être tant soit peu charitables ! Pour nous, ces mots authentiques ou fabriqués, ces historiettes qui courent de bouche en bouche sur ce qu’un homme public a dit ou n’a pas dit, ce grand feu que la haine ou simplement la malignité se plaît à allumer d’une très fugitive étincelle, tout cela nous semble vraiment ne pas mériter le bruit qu’on en fait. Une vie signifie plus qu’un mot ; une suite d’idées non démentie et de sentimens dont l’accent n’a rien d’équivoque serait en tout cas, plus concluante qu’une saillie. Ce qui nous parai établir péremptoirement chez M. Cousin la sincérité d’une pensée d’alliance de la philosophie et du christianisme, c’est sa parfaite conformité avec l’entreprise générale du philosophe. Comment concevrait-on qu’il se fût montré toute sa vie passionné pour la vérité philosophique déposée dans les systèmes, à ce point d’en extraire dans des théories imparfaites les moindres parcelles, et qu’il restât aveugle ou indifférent à ce merveilleux ensemble de vérités qu’on appelle la religion chrétienne ? Ne serait-il pas singulier qu’il eût pris pour devise dès ses premiers débuts : raffermir et non ébranler, unir et non diviser, — et que de cette œuvre de raffermissement et d’alliance il exceptât - quoi ? le christianisme ! Une telle contradiction est contre toutes les vraisemblances, quand même elle ne serait pas contraire à tous les monumens écrits de la pensée de M. Cousin, à ses affirmations réitérées. Sans doute, dans le champ de la spéculation, l’indépendance philosophique se déploie en toute plénitude, elle n’a nul compte à rendre des explications qu’elle donne de toutes les questions qui l’intéressent ; mais où la conscience universelle redevient compétente, où la foi religieuse peut faire entendre de justes réclamations, c’est lorsque la philosophie présente aux hommes des conclusions immorales, insensées ou impies. Le droit de la philosophie, c’est d’expliquer, suivant telle formule qu’elle croira vraie, tout ce qui compose l’objet éternel de la science, mais sous la condition de ne méconnaître aucune de ces vérités qui forment le patrimoine naturel de l’espèce humaine, ou qui sont le fruit sacré du temps et de la civilisation. Telle est, en substance, la doctrine de M. Cousin.