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députation : que l’article concernant la souveraineté du roi et la sûreté de sa personne ayant été évoqué à lui, il n’était plus besoin de le remettre au cahier, que le roi le regardait comme présenté et reçu, et qu’il en déciderait au contentement du tiers-état. Cette violence faite à la liberté de l’assemblée y excita un grand tumulte ; elle comprit ce que signifiait et à quoi devait aboutir la radiation qui lui était prescrite. Durant trois jours, elle discuta si elle se conformerait aux ordres de la reine. Il y eut deux opinions : l’une qui voulait que I’article fût maintenu dans le cahier, et qu’on protestât contre les personnes qui circonvenaient le roi et forçaient sa volonté ; l’autre qui voulait qu’on se soumît en faisant de simples remontrances. La première avait pour elle la majorité numérique ; mais elle ne prévalut point, parce que le vote eut lieu par provinces, et non par bailliages[1]. Cent vingt députés, à la tête desquels étaient Savaron et de Mesmes ; se déclarèrent opposans contre la résolution de l’assemblée, comme prise par le moindre nombre. Ils demandaient à grands cris que leur opposition fût reçue et qu’il leur en fût donné acte. Le bruit et la confusion remplirent toute une séance, et, de guerre lasse, on s’accorda pour un moyen terme ; on convint que le texte de l’article ne serait point inséré dans le cahier général, mais que sa place y resterait formellement réservée. En effet, sur les copies authentiques du cahier, à la première page, et après, le titre : Des lois fondamentales de l’état, il y eut un espace vide, et cette note : « Le premier article extrait du procès-verbal de la chambre du tiers-état a été présenté au roi par avance du présent cahier, et par commandement de sa majesté, qui a promis de le répondre. »

Cette réponse donnée, et la faiblesse d’une reine que des étrangers gouvernaient fit ajourner la question d’indépendance pour la couronne et le pays. Ce ne fut qu’au bout de soixante-sept ans que les droits de l’état, proclamés cette fois dans une assemblée d’évêques, furent garantis par un acte solennel, obligatoire pour tout le clergé de France. Mais la célèbre déclaration de 1682 n’est, dans sa partie fondamentale, qu’une reproduction presque textuelle de l’article du cahier de 1615, et c’est au tiers-état que revient ici l’honneur de l’initiative[2]. Tout ce qu’il y avait de fort et d’éclairé dans l’opinion publique

  1. Les provinces étaient très inégales en nombre de représentans ; mais le vote par bailliages, qui, dans cette occasion, fut réclamé inutilement, répondait presque au vote par tête.
  2. « Nous déclarons, en conséquence, que les rois et les souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique, par l’ordre de Dieu, dans les choses temporelles ; qu’ils ne peuvent être déposés ni directement ni indirectement par l’autorité des clés de l’église ; que leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l’obéissance qu’ils leur doivent, ni absous du serment de fidélité ; et que cette doctrine, nécessaire pour la tranquillité publique, et non moins avantageuse à l’église qu’à l’état, doit être inviolablement suivie comme conforme à la parole de Dieu, à la tradition des saints pères et aux exemples des saints. » (Déclaration du 19 mars 1682, Manuel du droit public ecclésiastique français, par M. Dupin, p. 126.)