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clergé fit la même demande, entourée de ménagemens et de paroles captieuses qui n’eurent pas plus de succès auprès du tiers-état que la franchise égoïste des gentilshommes[1]. Ayant délibéré de nouveau la chambre du tiers décida qu’elle ne séparerait point ses propositions l’une de l’autre, et elle fit porter ce refus par l’un de ses membres les plus considérables, Jean Savaron, lieutenant-général de la sénéchaussée d’Auvergne.

Cet homme d’un grand savoir et d’un caractère énergique parla deux fois devant le clergé et termina ainsi son second discours : « Quand vous vous buttez à l’extinction du droit annuel, ne donnez-vous : pas à connoître que votre intention n’est autre que d’attaquer les officiers qui possèdent les charges dans le royaume, puisque vous supprimez ce que vous devriez demander avec plus d’instance ; à savoir, l’abolition des pensions qui tirent bien d’autres conséquences que le droit annuel ? Vous voulez ôter des coffres du roi seize cent mille livres qui lui reviennent par chacun an de la paulette, et voulez surcharger de cinq millions l’état que le roi paye tous les ans pour acheter à deniers comptans la fidélité de ses sujets. Quel bien, quelle utilité peut produire au royaume l’abolition de la paulette, si vous supportez la vénalité des offices qui cause seule le dérèglement en la justice ?… C’est, messieurs, cette maudite racine qu’il faut arracher, c’est ce monstre qu’il faut combattre que la vénalité des offices qui éloigne et recule des charges les personnes de mérite et de savoir, procurant l’avancement de ceux qui, sans vertu bien souvent, se produisent sur le théâtre et le tribunal de la justice par la profusion d’un prix déréglé qui fait perdre l’espérance même d’y pouvoir atteindre à ceux que Dieu a institués en une honnête médiocrité. Par ainsi, messieurs, nous vous supplions humblement de ne nous refuser en si saintes demandes l’union de votre ordre. C’est pour le peuple que nous travaillons, c’est pour le bien du roi que nous nous portons, c’est contre nos propres intérêts que nous combattons. »

Devant la noblesse, Savaron s’exprima d’un ton haut et fier, et, sous ses argumens, il y eut de l’ironie et des menaces. Il dit que ce n’était point le droit annuel qui fermait aux gentilshommes l’accès des charges, mais leur peu d’aptitude pour elles, et la vénalité des offices ; que

  1. « Quelques belles paroles qu’il pût prononcer (l’archevêque d’Aix), si ne put-il jamais faire départir notre compagnie de sa résolution de demander conjointement lesdites propositions, parce qu’on voyoit clairement qu’il y avoit de l’artifice, et que le clergé et la noblesse s’entendoient à la ruine des officiers et à la continuation de la charge et oppression du pauvre peuple, et ne vouloient point qu’on demandât le retranchement de leurs pensions, tant ils faisoient marcher leurs intérêts avant tout. » ( Relation de Florimond Rapine, p. 182).