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nouveau degré de considération, celui qui s’attache aux avantages de l’hérédité. Moins de dix ans après, on voyait des passions et des intérêts de classes soulevés et mis aux prises par les effets de ce simple expédient financier. Le haut prix des charges en écartait la noblesse dont une partie était pauvre, et dont l’autre était grevée de substitutions, et cela arrivait au moment même ou, plus éclairés, les nobles comprenaient la faute que leurs aïeux avaient faite en s’éloignant des offices par aversion pour l’étude, et en les abandonnant au tiers-état. De là entre les deux ordres ; de nouvelles causes d’ombrage et de rivalité, l’un s’irritant de voir l’autre grandir d’une façon imprévue dans des positions qu’il regrettait d’avoir autrefois dédaignées ; celui-ci commençant à puiser dans le droit héréditaire qui élevait des familles de robe à côté des familles d’épée ; l’esprit d’indépendance et de fierté, la haute opinion de soi-même, qui étaient auparavant le propre des gentilshommes.

Quelque remarquable qu’eût été, dans le cours du XVIe siècle, le progrès des classes bourgeoises, il avait pu s’opérer sans querelle d’amour-propre ou d’intérêt entre la noblesse et la roture ; la grande lutte religieuse dominait et atténuait toutes les rivalités sociales. Aucun procédé malveillant des deux ordres l’un envers l’autre ne parut aux états-généraux de 1576 et de 1588. Mais, après l’apaisement des passions soulevées par la dualité de croyance et de culte, d’autres passions assoupies fond des cœurs se réveillèrent ; et ainsi, par la force des choses, le premier quart du XVIIe siècle se trouva marqué pour recueillir et mettre au jour, avec les griefs récens, toute l’antipathie amassée de longue main entre le second ordre et le troisième. Cette collision éclata, en 1614, au sein des états convoqués ; à la majorité de Louis XIII, pour chercher un remède à ce qu’avaient produit de dilapidations et d’anarchie les quatre ans de régence écoulés depuis le dernier règne[1].

Ce fut le 14 octobre que l’assemblée se réunit en trois chambres distinctes au couvent des Augustins de Paris ; elle comptait quatre-cent-soixante-quatre députés, dont cent quarante du clergé, cent trente-deux de la noblesse, et cent quatre-vingt-douze du tiers-état. Parmi ces derniers, les membres du corps judiciaire et les autres officiers royaux dominaient par le nombre et par l’influence. Dès la séance d’ouverture, on put voir entre les deux ordres laïques des signes de jalousie et d’hostilité ; le tiers-état s’émut pour la première fois des différentes du cérémonial à son égard[2] ; l’orateur de la noblesse s’écria

  1. Voyez le rapport de mon frère Amédée Thierry sur le concours du prix d’histoire, décerné en, 1844 par l’Académie des sciences morales et politiques. (Mémoires de l’Académie, t. V, p. 826.)
  2. « Je remarquai que mondit sieur le chancelier, parlant en sa harangue à messieurs du clergé et de la noblesse, mettoit la main à son bonnet carré, et se découvroit, ce qu’il ne fit point lorsqu’il parloit au tiers-état. » (Relation des états-généraux de 1614, par Florimond Rapine, député du tiers-état de Nivernais, Des États-Généraux, etc ? n Recueil de Mayer, t. XVI, p. 102.)