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Les longues disgraces sont rares sous le gouvernement représentatif. La persécution est un état de passage ; on le prend, on le quitte, il est rare qu’on s’y arrête. Trop de bouches boivent tour à tour à la coupe de ciguë et s’en partagent les gouttes pour qu’elle tue personne. M. Cousin eut encore deux années à souffrir. Les élections de 1827 firent prendre aux choses une face nouvelle. M. Royer-Collard se vit appelé à la présidence de la chambre, M. de Martignac au ministère. L’oeuvre de réparation ne tarda pas à commencer ; M. Guizot et M. Cousin, en 1828, reprirent leur chaire. C’est ici le point culminant du professorat de M. Cousin. Cette année 1828, où MM. Villemain, Guizot et Cousin charmaient et captivaient un auditoire qui s’étendait bien au-delà de l’enceinte de la Faculté, peut passer pour sans égale depuis Abélard dans les annales de l’enseignement français. C’est là que s’était concentré le plus puissant intérêt du moment. Au dire de ceux qui l’ont entendu, M. Cousin se distinguait par la verve entraînante, la vigueur, l’élan, la franchise incomparable de l’allure. Son charme était dans son énergie même, dans le feu de sa parole. Il s’imposait à son auditoire résolûment et le dominait tout d’abord. C’était vraiment dans sa beauté fière et dans sa puissance aimée le despotisme de la parole. Le ton convaincu, l’air souvent inspiré, une pensée qui tantôt s’épanchait avec aisance et souplesse, tantôt se repliait sur elle-même avec force, suivant qu’il déroulait la logique rigoureuse des lois de l’histoire ou le spectacle mobile de la pensée et de la vie, tout cela complétait en lui l’image du philosophe-orateur, parlant non d’un cap Sunium à quelques disciples soumis, mais du haut d’une tribune à un auditoire cherchant avec émotion, sous la vérité éternelle, la vérité du jour.

Traduit en plusieurs langues et reproduit par les journaux du temps, critiqué leçon par leçon, soumis, comme l’eussent été des discours politiques, à la double épreuve de la censure des feuilles radicales et des feuilles ultra-monarchiques et religieuses, objet de réfutations et de commentaires scientifiques, le cours de 1828 est trop universellement connu pour que nous en présentions l’analyse. J’insiste cependant sur ce point, qu’il fut, par la nature même des sujets, une grande innovation dans la philosophie française. Un seul homme (je ne parle pas de Saint-Martin, le philosophe inconnu) avait touché hardiment à ces grandes thèses vivantes de l’histoire, seules capable de captiver un public habitué aux grands spectacles, et cet homme était un ennemi des philosophes et des temps nouveaux, Joseph de Maistre. L’ame de Joseph de Maistre a ressenti profondément le contre-coup des révolutions qui ont ébranlé et changé la face du monde ; c’est par là que, bien qu’il nous heurte et nous choque à tout instant, il nous intéresse, quoi que nous en ayons. Ces révolutions n’avaient pu troubler le calme de l’école philosophique régnante. Faite à l’image de la chimie de Lavoisier,