reprit-il, et, si je ne me trompe, ils mettent les embarcations à la mer. Dans une heure d’ici, mes enfans, nous échangerons des tapes. — Làdessus, Bruidoux secoua les cendres de sa pipe, et, s’occupant de la bourrer une seconde fois avec une aussi tendre précaution que la première : — Une chose qu’il te sera agréable de savoir, Colibri, ajoutât-il, c’est que nous sommes hors de la portée de leurs canons. Si cette côte, au lieu d’être émaillée de récifs une lieue à la ronde, était une de ces côtes, comme j’en ai vu, le long desquelles un vaisseau de haut bord se promène aussi tranquillement qu’une dame dans un salon, la frégate, vois-tu, se serait embossée à notre gauche, tandis que les troupes de débarquement nous auraient abordés par la droite. De la sorte, nous aurions été à la fois fusillés de front et raflés en écharpe, ce qui eût rendu notre situation véritablement critique.
Comme le sergent achevait ces mots, la frégate mit une embarcation à la mer. Cette circonstance excita un intérêt nouveau parmi les pêcheurs et les soldats. Des regards railleurs ou perplexes se portaient tantôt vers la mer, tantôt sur le chef des troupes républicaines, qui, posté sur un rocher, examinait à travers une lorgnette les mouvemens du navire anglais. Ce personnage, qui ne paraissait pas âgé de plus de vingt-cinq ans, portait le lourd uniforme de commandant de la république avec une élégance peu commune dans les mœurs militaires de cette époque. Le genre de beauté répandu sur sa physionomie, la finesse parfaite de tous les traits physiques où les yeux des douairières cherchent des signes de race, auraient, à vue de pays, assuré au jeune officier un accueil fraternel dans les salons de Vérone. La noblesse de son front et la douceur pensive de ses yeux, contrastant avec la fermeté des lignes de la bouche, lui auraient attiré une attention flatteuse dans toute réunion de femmes, sans acception de parti. À quelques pas derrière lui se tenait un jeune homme de dix-neuf ans à peine, aux cheveux blonds et aux joues rosées, portant un léger uniforme d’aide-de-camp : cet adolescent figurait en qualité de lieutenant dans l’état-major du général Hoche, et depuis quelques jours il partageait avec le jeune chef de bataillon le commandement de la colonne expéditionnaire.
— Commandant Hervé, cria tout à coup le plus jeune des deux officiers remarquant que le flot envahissait le rocher qui servait d’observatoire à son supérieur, je vous avertis que la marée monte ; vous aurez de l’eau à mi-jambe tout à l’heure.
Le commandant Hervé se retourna avec une mine distraite, regarda vaguement le petit aide-de-camp de l’air d’un homme qui doute si on l’a appelé ; puis il revint à sa lorgnette et à ses observations. Le petit aide-de-camp éclata de rire. — Je vous dis, commandant, reprit-il en se faisant un porte-voix de ses deux mains, je vous dis que la marée