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n’a pas été moins significative que l’élection même ; et c’est pouquoi on a le droit de regarder le choix d’Alexandre Georgewitch comme la plus eacte expression des vœux du pays.

Le prince Michel Obrénowitch raconte avec complaisance un grand nombre d’anecdotes où il essaie de mettre en relief, sous un jour qui ne manque point de couleur locale, le patriotisme, de Milosch. Il en est une que le jeune prince ignore peut-être, et qui nous semble peindre assez exactement l’ambition et la pensée du vieux knèze des Serbes.

Jusque dans L’exil où il avait précédé son fils, Milosch, avec l’impatience d’une forte volonté à laquelle les instrumens font défaut à l’heure même où l’occasion se présente, poursuivait encore l’idée d’un bouleversement : de l’empire turc. C’était en 1839, en pleine question d’Orient. Dans son ardeur, qui l’eût dévoré s’il eût été d’une constitution moins robuste, il était à la recherche de toute alliance qui pût et conduire à son but. La France, qui, sous couleur de régénérer la Turquie par le sabre de Méhémet-Ali, aidait alors follement à la détruire, paraissait à Milosch une alliée commode et facile à entraîner dans des tentatives que l’on appelait intelligentes et généreuses. Milosch ne songeait donc qu’à confier au cabinet français les idées et les plans dont il était si fort épris. Retiré alors dans les riches possessions où il s’était assuré un refuse par prévoyance en Valachie ; il résolut de s’en ouvrir à l’agent et consul-général de Bucharest.[1] Le prince entoura cette confidence de précautions mystérieuses et d’un grand appareil de réserve. Tout cela se passait aux heures les plus sombres de la nuit. Milosch y apportait d’autant plus de persévérance et de ténacité, que l’agent français y avait dû mettre d’abord plus de défiance. Le prince exilé déployait dans ces entrevues tout ce que son éloquence orientale savait emprunter d’argumens spécieux et de pensées caressantes. Capable de s’émouvoir et surtout de paraître ému, il développait ses plans avec cette chaleur qui, chez les Orientaux, est souvent le voile de la finesse. Il parlait abondamment des sentimens et des forces politiques qui s’éveillaient dès lors au sein des trois grandes provinces slaves de Servie, de Bulgarie et de Bosnie, entremêlant au tableau des vertus guerrières de ces peuples ce que lui-même avait fait naguère d’expéditions hasardeuses a l’aide de leurs bras. D’ailleurs il n’oubliait pas la mise en scène. Lorsqu’il pensa que ces entrevues pouvaient être moins mystérieuses sans inconvénient, il y fit quelquefois intervenir sa dévouée et digne compagne ; la princesse Loubitza, « celle qui plus d’une fois, disait-il entourée, de ses femmes, avait tenu, pendant les engagemens nocturnes des Serbes contre les Turcs, les torches qui devaient servir de signaux de ralliement à l’armée serbe. » Or, quelle était la conclusion de tous ces discours ? Invariablement cette pensée plus d’une fois formulée catégoriquement, que si la France y voulait consentir, Milosch était prêt à prendre au sein de la Turquie d’Europe le rôle que Méhémet-Ali jouait alors avec tant d’éclat apparent dans la Turquie d’Asie. Telle était, en effet, l’ambition permanente de Milosch. C’est pourquoi nous pensons que sa chute a été utile.

Le fils de Tserni-George Tn a point les antécédens ni les titres personnels de Milosch. La jeunesse d’Alexandre s’est passée dans l’obscurité de l’exil et une misère qui ne présageaient pas sa présente élévation. Non, le prince Alexandre

  1. M. Adolphe Billecocq, qui venait de succéder à M. de Châteaugiron.