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temps ; mais cette étude, qui inspire la confiance ou la résignation, a souvent pour effet de l’éloigner d’y prendre au moins de prime-abord une part intime et directe. Plus tard, dans tout le feu de la guerre engagée, au Globe, le rôle de M. Cousin vis-à-vis de ses jeunes amis fut surtout d’un modérateur, d’un conseiller bienveillant, mais parfois sévère. Très ardent dans cette opposition légale dont M. Royer-Collard était l’ame, plus hardi certainement dans cette voie et plus exigeant que ne l’était son maître, il ne laissait pas de voir avec quelque inquiétude ces pointes un peu vives de l’opposition de ses adhérens ; il craignait, répudiant quant à lui toute participation, que, par-delà le ministère, ils ne frappassent sur le principe d’autorité, et par-delà les abus du clergé, sur le christianisme lui-même. Quand le plus illustre de ses disciples, M. Jouffroy, bien qu’infiniment plus calme et plus rassis en apparence, eut jeté ce cri éloquent : Comment les dogmes finissent, M. Cousin l’en réprimanda comme d’une brillante équipée. Il nous serait facile de le montrer ainsi en perpétuelle défiance contre ce côté de la philosophie qui relève du XVIIIe siècle, et qui prend aisément le rôle de l’agression, au lieu de se tenir simplement sur la défensive. Pour lui, en philosophie et en politique, il semblait compter dès-lors avant tout sur la vertu de l’affirmation, et croire qu’une vérité démontrée est bientôt un fait triomphant. Au lieu de se borner à nier le matérialisme et à en combattre les derniers restes par sa propre autorité, il publiait Proclus, Descartes, traduisait Platon, qu’il rendait accessible à l’intelligence française par de lumineux argumens ; au lieu d’écrire contre le ministère, il continuait à enseigner une grande doctrine libérale, et se contentait de dire : Voyez ? — Il y a loin de là au carbonarisme auquel on l’a dit à tort affilié[1].

Cette époque de la vie de M. Cousin représente assez bien la période souvent remarquée dans la carrière des hommes supérieurs, qu’on peut appeler celle du stoïcisme, période d’aspiration mêlée souvent, au sortir d’énergiques élans, d’amers dégoûts et de sombres découragemens. Sauf peut-être le découragement, qui, autant qu’il est possible d’en juger, semble avoir peu de prise sur cette ame douée d’une perpétuelle activité, qui prend si vivement à toutes choses, et paraît de tous points si bien trempée pour vivre ; sauf peut-être ces inquiètes langueurs qui ne devaient pas rester étrangères à M. Jouffroy non plus qu’à René, ce moment fut, plus particulièrement pour M. Cousin, celui de l’épreuve. Atteint d’une affection de poitrine, pauvre d’ailleurs, dans son humble retraite, près du Luxembourg, il offre alors le spectacle d’un jeune penseur, ardent, passionné, calme pourtant dans le fond, grace à

  1. La seule société politique dont il fit partie fut une société publique qui se réunissait sous la présidence de M. de Broglie.