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« — Oh ! oui, dit Slick ; Jube est un chrétien. Il est aussi bon qu’un Anglais blanc ; c’est la même chair, seulement un peu plus noire ; c’est le même sang, seulement il, n’est pas aussi vieux. Oh ! oui, un Anglais et lui sont frère, de toute façon.

Arrêtons-nous. Slick daigne épargner son malheureux esclave ; mais est-ce assez d’impudence, de cynisme, de vanterie ? Quel mépris de la vie humaine ! Voilà un républicain, un démocrate qui a toujours à la bouche les mots d’égalité et de fraternité. Hommes, instruisez-vous, prenez exemple, vous surtout, Européens. L’homme est toujours l’homme partout et toujours. Les systèmes sont des masques, les doctrines des travestissemens, la civilisation elle-même est un manteau. Ce qu’il y a de réel, c’est la nature humaine ; ce qu’il y a de vrai-ce sont les instincts, les passions, les ambitions ; ce qui est solide et sonnant comme une monnaie ; ce sont les intérêts et les tendances des peuples. Qu’importe la constitution américaine, son sénat et son président ? Ce qui importe, ce sont les villes qui se bâtissent, les comptoirs qui se forment, les intérêts qui entrent en lutte, l’individualité sauvage qui, en dépit du mot de fraternité, fait litière de la vie humaine, foule à ses pieds une race d’hommes tout entière, conserve l’esclavage pour s’épargner des soins vulgaires et pour aller plus vite, pour plus vite faire ses affaires. Remercions donc Sam Slick, puisqu’il nous a ramenés à la réalité et aux vrais intérêts américains, que nous voyons toujours à travers un masque libéral et démocratique ; remercions aussi M. Halliburton, puisqu’il nous a révélé les tendances qui entraînent l’Amérique et les colonies anglaises elles-mêmes vers un but commun, et souhaitons qu’il continue à nous renseigner long-temps et aussi agréablement sur son pays et sur les contrées qu’il a visitées.


ÉMILE MONTÉGUT.