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et sa haine de l’Angleterre. : Il est fermement convaincu que l’Amérique est le plus glorieux pays du monde ; c’est sous ce rapport un Américain complètement moderne, non plus un Américain du temps de Franklin, mais un digne disciple de Jefferson et surtout de Jackson, dont il a perpétuellement le nom à la bouche. Il faut voir avec quelle emphase il prononce le nom glorieux de Bunker-Hill, avec quel entrain il chante des refrains patriotiques dans le goût de celui-ci : « Oh ! avez-vous entendu parler de la bataille d’Orléans où les garçons yankees donnèrent une frottée aux Anglais ?… Oh ! — le nom de l’Anglais est taureau et le nom du Français grenouille,.. : etc. » Il n’établit d’autre différence entre l’Angleterre et l’Irlande que celle-ci, c’est qu’en Angleterre- il pleut toute la journée, tandis qu’en Irlande il pleut le jour et la nuit. Ses opinions politiques ne manquent d’ailleurs ni d’à-propos ni de bon sens, on y reconnaît le vigoureux bon sens de la race anglo-saxonne, la seule qualité que les Américains aient conservée de la mère-patrie ; ses critiques politiques sont délicieuses d’humour. Oui, Sam Slick a bien jugé notre temps ; voyez plutôt : « La différence qui existe, dit-il, entre un tory, un whig, un radical et un chartiste, la voici : un tory est un complet gentleman, un gentleman dans toute sa personne et qui met une chemise blanche tous les jours ; le whig est encore un gentleman, beaucoup moins cependant que le tory, et il ne met une chemise blanche que tous les deux jours ; le radical n’est pas du tout gentleman et il ne change de chemise que tous les huit jours ; quant au chartiste, c’est un être dégoûtant qui n’a jamais qu’une chemise, et qui ne la quitte que lorsqu’elle est tombée en lambeaux. » Spirituel ; judicieux, profond Sam Slick !

Pour vous faire mieux juger de la verve, de l’esprit, du patriotisme et des travers de Sam Slick, écoutons-le parler lui-même : nous sommes sur le bateau à vapeur qui le conduit en Angleterre. À une impertinence que débite Sam Slick contre l’Angleterre, son interlocuteur répond.

« Pardonnez-moi, monsieur Slick, mais ce n’est pas là la disposition avec laquelle vous devriez visiter l’Angleterre.

« — Et quelles sont donc les dispositions, reprit-il avec beaucoup de chaleur, dans lesquelles ils nous ont visités ? Maudits soient-ils ! Voyez Dickens ; la Fayette excepté, y eut-il jamais un homme aussi vanté par nous que Dickens ? Et qu’était donc Dickens ? Ce n’était pas un Français ami de notre nation ; ce n’était pas un compatriote qui eût des droits sur nous ; ce n’était pas un colonist, qui, bien qu’Anglais de nom, est pourtant Américain de naissance, moitié de l’un, moitié de l’autre, et ainsi une sorte de demi-frère. Non, c’était un maudit Anglais, et, ce qui est pire, un écrivain anglais, et cependant, parce qu’il était un homme de génie, parce que le génie a l’univers pour thème et le monde pour patrie, et le genre humain pour lecteur, et qu’il n’est pas un