« — Ah ! dit sir Edward, ce charmant petit chantibus que vous chantiez si divinement et si doucement ; il commençait par ces paroles- : « Oh ! chantez-moi encore ces chants. »
« Divinement et doucement sont des expressions fortes, surtout lorsqu’elles s’appliquent à la voix de quelqu’un. Elle en fut contente, et consolée d’avoir fini avec cet horrible italien, elle commença : Çante-moi ces çants encore. À l’exception de son défaut de prononciation, elle chantait suffisamment bien car assez généralement les dames font bien lorsqu’elles sont flattées.
« — Excellent ! s’écria sa seigneurie. Je vous remercie, je vous remercie. C’est exquis ; mais il y a un beau petit chant qui commence ainsi : « Chante-moi ces chants encore. » Serions-nous assez heureux pour l’obtenir ?
« Miss Sampson le regarda pour voir ce qu’il voulait dire, mais, hélas ! sa face inaltérable ne racontait rien. Froide et brillante comme un clair de lune, sa physionomie portait toujours son calme habituel et son intéressante expression. C’était assez étrange, elle venait justement de chanter cet air, mais il s’exprimait toujours singulièrement. Est-ce qu’il la plaisantait, ou bien désirait-il réellement l’entendre répéter ? Les jeunes demoiselles au doux tempérament, comme miss Sampson, adoptent généralement l’interprétation la plus agréable à leurs voeux, et elle chanta l’air de nouveau dans sa meilleure manière et avec un excellent effet.
« — Excellent, dit sir Edward, mais, je vous en prie, ne nous abandonnez pas encore ; il y a.un petit chantibus que je vous ai entendu chanter une fois. C’est une belle chose ; en vérité, c’est rafraîchissant d’écouter de tels sons.
« — Quel est ce chant ? demanda la jeune fille charmée, regardant son galant et charmant ami, tout en exécutant une gamme chromatique sur le piano. Quel est-il ?
« — Peut-être que je vais me le rappeler : Chantez-moi ces chants encore. »
« Ses yeux s’obscurcirent soudainement, elle fut’ près de se trouver mal ; etc… »
Eh bien ! que vous en semble ? n’est-ce pas une excellente caricature que sir Edward ? Ces mœurs ne sont-elles pas tout anglaises ? n’est-ce pas la même excentricité, les mêmes singularités, les mêmes plaisanteries énormes, tout cela seulement devenu plus excentrique, plus singulier, plus énorme par l’éloignement ? Est-ce que vous ne sentez pas toute une civilisation provincialisée, pétrifiée et tournant au ridicule et au factice ? On ne se douterait guère que nous sommes dans la Nouvelle-Écosse, on imaginerait bien plutôt que ces scènes se passent dans quelque province de l’Angleterre, parmi des marchands enrichis retirés, des bourgeois du Marais de Londres et quelques membres arriérés de la gentry ; n’était la conclusion, qui vient nous confirmer que nous sommes bien à Halifax. Les nègres qui servent dans la maison de M. Channing se sont affublés des.vêtemens des convives. La cuisinière noire a ceint l’épée du gouverneur et s’est affublée de ses habits, les autres ont endossé l’habit militaire de Trotz