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seulement blessé, car alors il y aurait quelque espérance de le sauver ; mais il est aussi mort que Jules César.

« Je l’avais élevé moi-même, sir Hercule, continua-t-elle.., et…

« — Oh ! si vous rayiez élevé vous-même, madame, ce devait être un agneau, et alors c’est d’autant plus fâcheux pour moi ; je vous demande dix mille pardons ! Mon Dieu ! c’est terrible !

« Mistress Channing essaya d’excuser encore le gouverneur. – Ce n’était qu’un mauvais animal, excellence, et, je…

« — Oui, un mauvais animal, vraiment, répondait le gouverneur inconsolable ; mais il est de toute vérité que mes yeux ne se sont jamais guéris des atteintes qu’ils ont reçues jadis en Égypte.

« — Il reviendra ; je vous assure, sir Hercule ! –il reviendra en le remuant fortement…

« — Jamais ! jamais ! ma chère madame, persistait à dire le gouverneur. Tout chat qu’il soit, quand bien même il aurait en lui cinquante vies au lieu de neuf, il n’en reviendra jamais.

« Ici lady Sampson intervint. Tirant de son sein une énorme lorgnette, elle examina le chat défunt et le proclama un très bel échantillon de l’animal, domestique ; puis, après une plus exacte inspection, elle s’écria :

« — Mais où donc avez-vous pris ces beaux yeux ? ma chère mistress Channing, et ces griffes brillantes et aiguës ? Ce sont les plus magnifiques que j’aie jamais vus. Où donc les avez-vous pris ?

« Lady Sampson était une enthousiaste d’animaux domestiques et pressait son amie d’accepter un véritable modèle de chat angora qu’elle lui enverrait le lendemain matin. Il avait, disait-elle, une queue splendide comme celle d’un chien épagneul, une queue touffue qui, dans son opinion, était la plus belle chose qu’il y eût au monde. Elle demanda alors à une dame qui était auprès d’elle si elle n’était pas passionnée pour les chats, mais celle-ci répondit qu’elle était désolée de confesser son ignorance ou sa maladresse, qu’elle n’avait jamais élevé qu’un chat, et qu’elle l’avait tué en le rasant.

« — Excellent, dit sir Edward Dumpkoff, pensez un peu à cela ; raser les chatibus !

« Mais Trotz, qui ne manquait jamais une occasion de dire une impertinence, demanda si dans ce pays c’était la coutume de raser les chats ; et observa que ce serait une profession capitale pour les jeunes singes qu’il avait vus quelques soirées auparavant à une assemblée publique. Lady Sampson, dont la pénétration n’était pas des plus vives, lui expliqua gravement que raser un chat était un terme de l’art signifiant la tonsure rase et égale de toutes les extrémités saillantes et irrégulières. »

Voilà le prologue du dîner, voyons l’épilogue. Ce n’est plus sir Hercule Sampson, le gouverneur ; cette fois c’est sir Edward Dumpkopff, l’aide-de-camp, qui en fait les frais. – Miss Sampson, dont vous connaissez le défaut de prononciation, chante et prie sir Edward de lui choisir un chant :