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Quelle physionomie a-t-il ? Est-ce un homme du monde ? Aurons-nous des bals cet hiver ? Transportez au-delà de l’Océan atlantique et à l’extrémité septentrionale du nouveau continent ces conversations, ces inquiétudes, ces graves événemens qui s’appellent une soirée à la préfecture, un dîner offert au préfet ou un bal monté par ses soins. Un riche marchand du nom de Channing s’est mis en tête d’offrir un repas splendide au gouverneur de la colonie, sir Hercule Sampson, qui accepte son invitation. Pendant toute une semaine, la maison du malheureux négociant est mise sens dessus dessous sous le prétexte des nombreux apprêts exigés pour cette réception solennelle. Les casseroles sont fourbies, les glaces lavées, l’argenterie brille, et la plus belle bijouterie sort des coffres et des armoires. Bref, la maison tout entière subit une opération comparable à l’opération du massage ; elle en sort meurtrie et rajeunie. Enfin, le jour désiré arrive Sir Hercule Sampson se présente en compagnie de lady Sampson, dont la toilette est toujours pleine d’énormes contrastes, de miss Sampson, qui parle avec les lèvres, seulement, et ne dansse zamais qu’avec quelques offissiers du soissante-sissième, et de ses deux aides-de-camp, sir Edward Dumpkoff et M. Trotz. Sir Edward Dumpkoff est un personnage adorable de stupidité et de sottise ; il ne prononce jamais qu’un mot, qu’il lâche à tout propos, excellent, et il a trouvé spirituel d’ajouter à tous les mots une désinence de son invention qui leur donne une terminaison en bus. M. Trotz est un loustic désagréable qui sait inventer et découvrir les choses les plus offensantes ou celles qui peuvent le mieux blesser votre amour-propre ou votre vanité d’habitant de la Nouvelle-Écosse. Ainsi ; par exemple, il s’informera avec beaucoup de candeur du moment où la province a cessé d’être une colonie pénitentiaire, et, si vous lui objectez qu’elle n’a jamais été une colonie pénitentiaire, il vous répondra qu’il était excusable de l’avoir cru, que les mœurs et les habitudes de ce peuple lui auraient fait penser…, etc. Bref, on s’arrête à causer quelques instans avant le dîner, et voici le prologue comique de cette soirée comique :

« Quelques personnes de la compagnie prirent des siégea à l’exemple de son excellence ; mais le gouverneur, qui s’était assis auprès de mistress Channing, était sans repos et semblait mal à l’aise. D’abord il se porta un peu plus en avant sur la petite ottomane où il était assis puis il se pencha en arrière autant qu’il lui était possible ; finalement il se leva et se retourna pour s’assurer de la cause de l’incommodité qu’il éprouvait, et aussitôt il s’écria :

« — Ah ! mon Dieu ! j’ai tué le chat ! Y a-t-il quelque chose de plus étrange ? combien c’est désagréable !

« Mistress Channing dit que le chat n’était que blessé.

« — Pardonnez-moi, répondit-il ; je souhaité de tout mon cœur qu’il soit