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quentes entre la sculpture et la littérature, empruntant à l’une, avec la beauté des formes, le caractère trop abstrait des figures, à l’autre sa liberté, mais en même temps quelque chose d’analytique, de descriptif, tout-à-fait contraire à la véritable notion de la peinture. Les arts se sont partagé le champ de l’idéal ; leurs limites sont positives et naturelles, ils ne doivent pas les franchir. Ces limites ne sont pas un esclavage, mais une force, et c’est un entraînement fatal qui pousse à les dépasser. La sculpture exprime les modifications générales que les sentimens font éprouver à la forme humaine ; mais il faut, pour que ces modifications soient de son domaine, que des gestes précis, des poses significatives, une contraction bien visible des traits, accusent très nettement le but que l’artiste s’est proposé et qu’il doit atteindre sans recourir aux mille ressources de la peinture. S’il s’agit d’une action, il faut qu’elle soit simple, limitée à un plan, puisque la perspective aérienne est seule capable de montrer l’étendue en profondeur, telle enfin que le relief puisse l’expliquer sans le secours des expressions les plus délicates des traits et sans les ressources de la couleur. En général, les sentimens déliés, les affections provenant d’une cause morale, et qu’un geste large et simple ou même une attitude ne suffisent pas à expliquer, dépassent des moyens de la sculpture. Il faut donc renoncer à faire exprimer au marbre les nuances et les délicatesses les plus exquises de la pensée. Le sculpteur devra veiller également à ce qu’une passion violente n’agisse jamais sur le corps humain de manière à le déformer. La douleur produira l’accablement, mais non pas ces gestes brisés, cette bouche ouverte par des cris qu’on n’entend pas, ces contorsions du désespoir ; gestes, contorsions qui, commentés par des yeux creux et glacés, exciteraient en nous l’horreur plutôt que la pitié.

La peinture a des ressources infinies qui lui sont propres. Les épisodes, les attributs, les personnages et les actions secondaires, la perspective des objets, les modifications les plus fugitives des traits, sont les mots d’une langue nouvelle chargée de révéler mille choses qui échappent à la sculpture. Le peintre a même la liberté de prolonger le moment de l’action ; la scène se déroule sous son pinceau avec plus d’aisance et de largeur ; il transporte le spectateur, au moyen des portions secondaires du tableau, hors du strict moment de l’action, dans l’avenir et dans le passé. La scène que l’on a sous les yeux a pour ainsi dire un prologue et un épilogue qui l’agrandissent et la complètent. Ce n’est pas encore la liberté de la poésie, ce n’est pas encore l’idée vue sans voiles et face à face comme elle peut l’être dans la langue, et on pourrait soutenir cependant que la peinture est le mieux partagé de tous les arts, car à la grande liberté qu’il tient de la poésie il joint