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sent sainement et noblement. » La tête est très belle, intelligente et puissante, telle qu’on en rencontre un grand nombre dans ce temps. Poussin est de la famille des Corneille, des Descartes, des Pascal, et il porte cette parenté sur son visage.

L’œuvre de Poussin est immense. Nous avons catalogué plus de deux cents tableaux de sa main, et on sait qu’il ne se faisait jamais aider par personne. Il travaillait très vite et régulièrement, occupent ses soirées à dessiner et à composer, et peignant, après sa promenade du matin, sans interruption jusqu’à la nuit. Il trouvait cependant moyen d’interrompre ce labeur incessant pour soigner les affaires que ses amis de France avaient à Rome. Il leur faisait copier des tableaux et leur achetait des vases, des bustes antiques, et jusqu’à des gants et des cordes de guitare. L’amitié de M. de Chantelou lui avait valu beaucoup de connaissances qui lui demandaient des tableaux, et entre elles Scarron, qu’on ne s’attend guère à trouver là. Poussin fit pour lui un Ravissement de saint Paul et peut-être deux ou trois autres tableaux. Il en fut mal récompensé, car Scarron prit ce prétexte pour lui envoyer ses vilains livres, ce qui désolait, plus que de raison, cette noble nature. « J’ai reçu du maître de la poste de France un livre ridicule de facéties de M. Scarron, sans lettres et sans savoir qui me l’envoie. J’ai parcouru ce livre une seule fois, et c’est pour toujours : vous trouverez bon que je ne vous exprime pas tout le dégoût que j’ai pour de pareils ouvrages… J’avois déjà écrit à M. Scarron en réponse à la lettre que j’avais reçue de lui avec son Typhon burlesque ; mais celle que je viens de recevoir me met dans une nouvelle peine. Je voudrois bien que l’envie qui lui est venue lui fût passée et qu’il ne goûtât pas plus ma peinture que je ne goûte son burlesque. Je suis marri de la peine qu’il a prise de m’envoyer son ouvrage ; mais ce qui me fâche davantage, c’est qu’il me menace d’un sien Virgile travesti et d’une épître qu’il m’a destinée dans le premier livre qu’il imprimera. Il prétend me faire rire d’aussi bon cœur qu’il rit lui-même, tout estropié qu’il est ; mais, au contraire, je suis prêt à pleurer quand je pense qu’un nouvel Érostrate se trouve dans notre pays. » On s’étonne un peu d’entendre appeler Érostrate ce boiteux grimaçant dont Louis XIV devait hériter. Au reste, Scarron aimait la peinture ; il l’avait cultivée dans sa jeunesse. Il fit, des 1634, à Rome la connaissance de Poussin. Leur liaison ne paraît cependant pas avoir été fort intime, car ce n’est qu’après beaucoup d’hésitations et sur les recommandations très pressantes et très réitérées de M. de Chantelou que Poussin se décida à travailler pour lui.

On ne peut pas dire que Poussin ait fait école, mais il est resté l’un des deux ou trois maîtres les plus fructueusement étudiés et les plus admirés des artistes et des gens de goût. Ses seuls élèves directs furent