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Madrid et l’admirable Campagne d’Athènes de la galerie nationale de Londres[1].

Les Saisons, dans les quatre tableaux qui portent ce nom, sont indiquées par des épisodes tirés de l’Ancien Testament : le Printemps par Adam et Ève dans le jardin d’Éden, l’Été par Ruth et Booz, l’Automne par les deux Hébreux emportant la grappe de raisin de la terre promise, enfin l’Hiver par le déluge. Ce tableau est une des conceptions les plus dramatiques que nous connaissions. Ce ciel obscur, ces rochers humides et verdâtres, ces eaux lourdes et troublées ; les expressions de ces deux hommes sur le premier plan, qui se cramponnent l’un à une planche, l’autre à la tête d’un cheval ; la désolation de cette mère qui tente un effort suprême pour sauver son enfant ; les cris, les supplications de deux personnages dont le bateau chavire et qui vont périr, tous ces épisodes mettent devant les yeux des spectateurs cette scène terrible avec une effroyable réalité. L’Été est une charmante idylle. L’action n’est presque rien : quelques moissonneurs dans les blés ; sur le premier plan, Booz permet à Ruth de glaner dans son champ ; plus loin, quelques jeunes filles, aussi blondes que les épis qu’elles coupent ; la vie et la gaieté d’un beau jour de moisson ! Ce tableau a noirci, et il faut consulter, pour le bien juger, la belle gravure de Pesne. L’Automne est un des ouvrages les plus admirés de Poussin pour la grande ordonnance des plans, la simplicité des lignes, l’excellente qualité de la couleur. Nous lui préférons cependant le paysage paisible et superbe du Printemps, à l’exception toutefois des personnages, qui ne nous paraissent pas heureux. Cette grande nature respire une paix, une fraîcheur, une innocence inexprimables[2].

Le Diogène du musée du Louvre[3] ne le cède aux précédens ni par la largeur du dessin, ni par le choix des formes et le charme de l’arrangement ; il les surpasse par une perspective, toujours admirable chez Poussin, mais véritablement merveilleuse dans ce dernier ouvrage. On peut voir aussi dans ce tableau avec quel soin Poussin traitait ses premiers plans et quelle consciencieuse attention il apportait jusque

  1. Bien que notre intention ne puisse être de donner un catalogue complet de l’œuvre du grand paysagiste, nous croyons devoir rappeler encore un des plus puissans et des plus poétiques paysages de Poussin. C’est celui de la galerie Sciarra. Il représente un lac entouré de la plus vigoureuse végétation. L’horizon est échelonné de montagnes qui se dégradent dans des teintes d’un bleu sévère et se perdent dans des nuages sculpturaux. Le premier plan est largement évidé et semé de chapiteaux renversés et de fûts de colonnes. Jérémie est assis et écrit ses prophéties. Simplicité, richesse, équilibre, choix des détails, sérieux de l’idée, toutes les grandes qualités de Poussin se trouvent réunies dans ce tableau.
  2. Ces quatre tableaux ont été commencés en 1660 et terminés en 1664 pour le duc de Richelieu.
  3. Fait pour M. Lumagne en 1648.