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sentait ému et embrasé ; je ne sais quoi de divin semblait fondre son cœur au dedans de lui. Ce qu’il portait dans la partie la plus intime de lui-même le consumait secrètement ; il ne pouvait ni le contenir, ni le supporter, ni résister à une si violente impression ; c’était un sentiment vif et délicieux qui était mêlé d’un tourment capable d’arracher la vie. »

Les préoccupations graves de l’esprit de Poussin paraissent dans ses paroles comme dans ses tableaux. « Un jour, dit Félibien, qu’il se promenait dans la campagne de Rome avec un étranger, celui-ci lui demanda quelque antiquité pour garder en souvenir. Poussin se baissa, ramassa dans l’herbe une poignée de terre mêlée de morceau de porphyre et de marbre, et, la lui donnant : Emportez cela, seigneur, pour votre cabinet, et dites : Voilà Rome ancienne. » C’est bien le même homme qui s’écriait : « Nous n’avons rien en propre, mais tout à louage ! » Il n’est pas sans intérêt de remarquer que chez Poussin, comme chez Rousseau, le sentiment de la nature se développe avec l’âge. La politique, l’histoire, les mœurs remplissent les premiers ouvrages de Rousseau. La nature ne paraît pas, si nous ne nous trompons, avant la Nouvelle Héloïse, et elle y est subordonnée à la passion ; mais on voit bientôt ce sentiment se développer et devenir le texte d’ouvrages admirables, les Confessions, les Lettres à M. de Malesherbes, les Rêveries d’un promeneur solitaire. Chez Poussin, la gradation est moins régulière, mais le chemin que fait son esprit est le même. D’abord la nature ne paraît qu’au même titre que l’architecture ; elle sert de fond, elle est le lieu de la scène, lieu quelquefois très important, comme dans la Manne, les Jeunes Filles à la fontaine, ou les Aveugles de Jéricho, mais toujours subordonné. Plus tard, elle grandit jusqu’à balancer en importance les personnages, et enfin jusqu’à servir de thème propre à d’incomparables ouvrages.

Les principaux peintres italiens, qui furent presque tous, à des degrés divers, de grands paysagistes, ne se sont cependant servis de la nature que pour les fonds de leurs tableaux. Les quelques paysages qu’ils nous ont laissés peuvent passer pour des jeux de leurs pinceaux ou tout au moins pour des exceptions. Poussin, bien au contraire, est aussi grand paysagiste que peintre d’histoire. Il a même dans le paysage une supériorité plus éclatante, et il domine d’une telle hauteur tous ses rivaux, qu’il est impossible de les lui comparer.

Les paysages de Poussin sont très nombreux. Cependant il faut regarder comme apocryphes un grand nombre d’œuvres que l’on voit sous son nom dans les musées et dans les collections particulières. Les plus célèbres sont les Quatre Saisons que le Louvre a le bonheur de posséder, et les huits grands paysages gravés en collection, parmi lesquels on trouve le Diogène, la Mort de Phocion, le Polyphème de