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lit ; elle a la tête appuyée sur sa main, mais elle se détourne pour ne pas laisser voir sa douleur. Sa fille, à ses pieds, s’abandonne à son désespoir. Voilà bien ce moment unique et précieux de la peinture qui surprend une action compliquée dans l’instant où ses détails ont en même temps toute leur signification. Le Massacre des Innocens est plus simple encore, s’il est possible ; c’est un épisode grandi jusqu’à devenir un sujet, et l’originalité de cette composition étonne et augmente l’admiration. Derrière les colonnes d’un temple, un soldat demi-nu se prépare à égorger un enfant qu’il vient d’arracher à sa mère ; il a mis le pied sur le ventre du malheureux, il lève le bras, il va frapper ; la mère s’attache à lui, le retient ; on voit qu’elle l’a supplié long-temps, qu’elle lui a disputé son fils ; elle n’a plus d’espoir, mais elle jette par un dernier effort son bras devant l’arme meurtrière. Sur le second plan, une autre femme s’enfuit. Il est impossible d’exprimer le saisissement que produit ce tableau, ce qui tient sans doute à ce qu’il est dans les plus vraies et les meilleures voies de la peinture. Nous nous méfierons toujours des tableaux ou des statues qui peuvent se raconter sans perdre toute leur valeur.

Poussin excelle dans la représentation des scènes énergiques, qui permettent et demandent des expressions fortes et des pantomimes passionnées : il réussit également dans les sujets gracieux, qui peuvent s’exprimer par l’arrangement élégant des groupes, par les poses ou les gestes des personnages ; mais il est beaucoup moins heureux lorsqu’il s’agit de représenter le visage humain pour lui-même, et ne tirant ses ressources que de sa propre beauté. C’est ainsi que ses madones, bien que quelques-unes d’entre elles soient admirables, manquent non-seulement de cette beauté mystique que la peinture donne ordinairement à la Vierge, mais même de la beauté naturelle d’une jeune femme, de l’expression touchante d’une jeune mère. Ce sentiment vif et constant de la beauté de la figure humaine, ce sentiment qu’eurent à un si haut degré Raphaël et les Florentins, manque presque toujours à Poussin. Les visages de ses personnages ne sont absolument beaux que lorsqu’ils sont assez secondaires pour qu’il puisse leur prêter les traits immobiles et même les ressemblances des statues. L’obligation de donner à ses figures principales des traits expressifs l’a conduit aux plus grandes beautés dans les sujets énergiques, et à des types ou insigifians ou voisins de la laideur dans ses tableaux de sentiment. Nous ne prendrons pour exemple que ce charmant et poétique tableau des Jeunes filles à la fontaine. Sur le premier plan, Éliézer (et qu’il nous soit permis de remarquer en passant combien ce type, qui reparaît dans plusieurs ouvrages de Poussin, notamment dans le Booz de l’Eté, est malheureux), Éliézer, disons-nous, offre des présens à Rébecca, qu’il a trouvée au milieu de ses compagnes, occupées à puiser de l’eau. Il