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de jeunesse qui en éloigne les terreurs. Il n’est pas rare d’y rencontrer certains mots qui ouvrent des jours inattendus sur cette grande ame. Il écrivait à M. de Chantelou : « Le pauvre M. Snelles, croyant s’en retourner jouir de la douceur de la patrie, car il n’en avoit qu’une seule dont il avoit été long-temps privé, n’a pas eu le bonheur de la toucher de ses pieds seulement ; à peine l’a-t-il vue de loin, et il a rendu l’esprit à Nice, en Provence, n’ayant été malade que trois jours. Et puis, qu’ai-je à faire de tant tenir compte de ma vie, qui désormais me sera plutôt fâcheuse que plaisante ? La vieillesse est désirée comme le mariage, et puis, quand on y est arrivé, il en déplaît. Je ne laisse pas pourtant de vivre allègre le plus que je peux… »

C’est à ce retour à Rome, et par conséquent à l’année 1642, que les critiques et les biographes rapportent ce qu’ils appellent la seconde manière de Poussin. Il ne faudrait pas croire cependant qu’il se soit fait dans sa peinture une révolution considérable ; Poussin ne fit que persévérer dans la route qu’il avait suivie jusque-là. Il continua à pratiquer et à perfectionner le système large et savant qu’il avait inauguré par la Manne et l’Enlèvement des Sabines, et plus anciennement encore par la Mort de Germanicus et le Frappement du rocher ; mais, sans laisser perdre à son dessin rien de son exactitude et de sa sévérité, il l’adoucit et lui donna plus de moelleux et d’agrément. Les figures, aussi bien étudiées que par le passé, deviennent plus vivantes, les draperies ont plus d’ampleur et accusent le nu sans le serrer ; enfin, c’est de cette époque que date l’introduction presque constante de paysages importans dans ses tableaux d’histoire.

Il n’est pas impossible que les critiques passionnées auxquelles Poussin fut en butte pendant son séjour à Paris aient eu sur le développement de son génie une heureuse influence. Il n’est certainement pas de pays où l’injustice soit plus fréquente et plus extrême qu’en France, il n’y en a pas où l’on soit plus rarement au point vrai sans exagération ; mais il y a presque toujours au fond des critiques les plus envenimées par la haine une part de vérité sans laquelle les détracteurs n’auraient aucune prise sur le public. Il se peut très bien que, le premier moment de chagrin et d’humeur passé, Poussin ait démêlé sous la haine de ses ennemis le bon sens de ses juges et en ait fait son profit. Quoi qu’il en soit, les tableaux de cette époque diffèrent de ceux que Poussin fit, soit à Rome avant son voyage, soit en France, non pas absolument, mais assez pour qu’un œil exercé les reconnaisse sans guère se tromper. Un des premiers tableaux qui occupèrent Poussin dès son arrivée à Rome fut le petit Ravissement de saint Paul[1], que

  1. Poussin a répété ce tableau. Celui du Louvre fut peint seulement en 1649 pour Scarron. L’original était à la galerie d’Orléans, et a passé en Angleterre comme les deux suites des Sacremens et tant d’autres belles choses.