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maine. Jésus-Christ, les bras étendus, entouré d’anges, paraît dans le ciel. Le miracle s’opère ; la jeune fille commence à secouer le lourd sommeil de la mort. La femme qui soutient sa tête vient de lire la vie dans ses yeux. La mère, en voyant son enfant renaître, se précipite sur son corps. Les gestes d’étonnement et d’admiration des assistans achèvent d’expliquer d’une manière parfaitement claire un sujet qui n’est pas absolument dans les moyens de la peinture ; car le retour à la vie ne peut pas s’exprimer par une de ces actions significative, tout entière et absolument déterminée dans un instant que saisit le peintre, et qui est tout son tableau, mais par une série de mouvemens successifs. Poussin a victorieusement tourné la difficulté en faisant lire aux spectateurs l’effet du miracle plus dans l’émotion des assistans que dans la figure même de la jeune fille. La peinture, qui doit toujours demeurer absolument objective, ne perd pas son caractère ; seulement le sujet n’est plus la morte, mais ceux qui la voient renaître.

Toutes les têtes de ce tableau sont admirablement vivantes. On remarque cependant de la sécheresse dans quelques parties et quelque chose de cerné dans les contours. La couleur est des meilleures, argentée et harmonieuse. Ce bel ouvrage, qui nous parait l’emporter sur la plupart des grandes toiles de Poussin, attira pourtant à l’auteur les dégoûts qui le forcèrent à quitter Paris ou plutôt à n’y pas revenir. On reprochait à son Christ de ressembler à un Jupiter tonnant plus qu’à un Dieu de miséricorde. Poussin répondit à merveille : « Ceux qui prétendent que le Christ ressemble plutôt à un Jupiter tonnant qu’à un Dieu de miséricorde peuvent être persuadés qu’il ne me manquera jamais d’industrie pour donner à mes figures des expressions conformes à ce qu’elles doivent représenter, mais qu’il ne peut et ne doit s’imaginer un Christ, en quelque action que ce soit, avec un visage de Torticolis ou de père Douillet, vu qu’étant sur la terre parmi les hommes il étoit difficile de le considérer en face[1]. »

Le départ de Poussin ne causa probablement un très vif regret qu’à Philippe de Champagne et à Lesueur. Nous avons vu qu’il avait connu le premier autrefois au collége de Laon, et qu’il avait travaillé avec lui à la décoration du Luxembourg. C’était peut-être le seul de ses amis de jeunesse qu’il eût retrouvé, et ces deux hommes étaient liés autant par la nature de leurs caractères que par des rapports de talent et de goût. Lesueur était de beaucoup leur cadet. Il avait abandonné Vouet et s’était attaché à Poussin, dont la peinture avait été pour lui une sorte de révélation. La pauvreté l’empêcha de suivre à Rome son nouveau maître, mais Poussin lui resta tendrement attaché, comme à un élève digne de le comprendre et qu’il n’avait pas espéré. L’absence

  1. Correspondance, p. 95.