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j’espère que, lorsque vous aurez respiré l’air de la patrie, difficilement le quitterez-vous. »

Poussin écrivit à M. Lemoine qu’il acceptait toutes ces conditions ; mais on voit percer dans cette réponse de la tristesse et comme un pressentiment des ennuis qui l’attendaient à Paris. « Quand j’ai eu pensé au choix que me donne ledit M. de Noyers d’habiter à Fontainebleau ou à Paris, j’ai choisi la demeure de la ville et non pas celle des champs, où je vivrois déconsolé. C’est pourquoi vous prierez de ma part notre dit seigneur qu’il lui plaise de me faire ordonner quelque pauvre trou, pourvu que je sois auprès de vous. » Malgré ces détails, qui marquent une intention bien arrêtée de se rendre à Paris, Poussin semble hésiter encore. Tantôt c’est le tableau de la Manne qui n’est pas achevé, tantôt d’autres ouvrages commencés, pour « des personnes de considération avec qui il veut en sortir honnêtement, » tantôt « son misérable mal qui n’est pas guéri, et qui le forcera de retomber entre les mains des bourreaux de chirurgiens. » Il craint d’avoir fait « une grande folie en abandonnant la paix et la douceur de sa petite maison pour des choses imaginaires. » Enfin, il semble renoncer tout-à-fait à son projet, et il écrit à MM. de Noyers et Chantelou pour se dégager ; mais M. de Chantelou s’était trop avancé pour ne pas aller jusqu’au bout : il vint à Rome dans le courant de l’année 1640, et en ramena Poussin presque de force. Poussin laissa sa femme à Rome ; il prétexta le désir qu’il avait de lui éviter les fatigues d’un emménagement. Il est possible qu’il prévît que son séjour ne serait pas long. Il ne put cependant se décider à partir seul, et emmena son beau-frère Dughet.


II.

Pendant le XVIe siècle, la peinture française n’avait eu qu’un seul représentant distingué ; mais, lorsque Poussin revint à Paris, Jean Cousin était mort depuis long-temps[1] et sans laisser d’école. Il avait été entraîné lui-même, à la fin de sa vie, par l’influence malheureuse de l’invasion italienne et des décorateurs de Fontainebleau. Ses derniers ouvrages sont loin d’égaler ce beau Jugement dernier du Louvre et ces merveilleux vitraux qui ornent encore aujourd’hui plusieurs de nos églises. Léonard de Vinci mourut peu de temps après son arrivée en France, en laissant des chefs-d’œuvre, mais point d’élèves ni de tradition. Poussin trouva donc les esprits peu préparés à apprécier son talent sérieux et élevé. Le crédit de Vouet baissait à la cour, mais sa

  1. Jean Cousin vivait encore en 1589. On ignore l’époque précise de sa mort.