Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/707

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les campagnes, il dessinait les statues qui s’y trouvaient en grand nombre, et jusqu’aux moindres fragmens antiques ; d’une autre part, il notait avec le plus grand soin les gestes et les attitudes des gens qu’il rencontrait. Quoique nous n’en ayons aucune preuve positive, il nous paraît probable que Poussin travaillait surtout de pratique, qu’il appliquait pour ainsi dire les gestes et les poses des personnages qu’il avait remarqués aux souvenirs des statues pris comme fond de son travail. Il est résulté de cette habitude que plusieurs de ses tableaux ont quelque chose de mal accordé, comme si les gestes et les expressions avaient été ajoutés après coup aux personnages. Il faut attribuer à la même cause l’absence fréquente de la partie agréable, de cette fleur de la beauté, à laquelle on ne doit pas donner trop d’importance, mais qu’il ne faut pas négliger outre mesure et sans utilité. Hâtons-nous d’ajouter que Poussin était bien loin de se borner à étudier l’antique et à collectionner des traits, des attitudes, des gestes. Il avait fait copier par son beau-frère Dughet une partie du Traité de perspective du père Matteo Zoccolini, maître du Dominiquin, et de celui de Vittellione. Il s’était approprié ces deux ouvrages en y aboutant sans doute de son propre fonds ; il discourait même de la perspective scientifique avec une si grande supériorité, que ses amis crurent pendant long-temps qu’il avait écrit un ouvrage sur cette matière, et qu’il fallut une lettre très positive de Dughet pour les dissuader. Il avait étudié l’anatomie avec Nicolas Larche et sur les figures de Vesale, la peinture théorique dans les livres d’Albert Dürer, d’Alberti et de Léonard de Vinci. Enfin, ses tableaux montrent quelle étude profonde et suivie il dut faire des poètes et de la Bible.

C’était à cette époque un esprit mûri et développé par des travaux de toute sorte, profond, clair et sensé ; un véritable esprit français, dans la bonne acception du mot, comme on le dirait de Descartes ou de Corneille, moins analyste que le premier, aussi poétique que le second qui garda pendant soixante-douze ans l’enthousiasme de l’art, ce qui lui permettait de dire tout à la fin de sa vie : « En vieillissant, je me sens toujours plus enflammé du désir de me surpasser et d’atteindre la plus haute perfection. »

Au commencement du séjour de Poussin à Rome, deux peintres agirent particulièrement sur lui : Titien et le Dominiquin. Il allait souvent voir à la villa Ludovisi un tableau du premier de ces maîtres, représentant des jeux d’enfans. Ses ouvrages de cette époque témoignent très vivement de l’influence du coloriste vénitien. Nous ne ferons que rappeler deux admirables Bacchanales de la galerie nationale de Londres, celle surtout où le peintre a placé une jeune fille qui presse une grappe de raisin dans une coupe que deux enfans se disputent. Ce tableau date certainement du premier séjour que Poussin fit