Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/705

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un hôte incommode et indiscret, irrité, découragé, humilié, il partit plus pauvre que devant pour revenir à Paris. Il faisait la route à pieds et était obligé de s’arrêter de lieu en lieu pour gagner de quoi continuer son voyage. La tradition rapporte qu’il peignit jusqu’à des enseignes de cabaret pour acquitter le prix de son modeste repas. Ces atteintes de la misère, qui souillent et dégradent les talens médiocres, donnent plus d’éclat, de grandeur et de force au génie. C’est probablement à cette époque qu’il faut rapporter les deux tableaux de Poussin que l’on voyait dans l’église des capucins de Blois[1] au milieu du XVIIe siècle, ainsi que les Bacchanales du château de Cheverni.

Ce voyage, qui doit avoir duré plusieurs mois, avait tellement fatigué Poussin, qu’il tomba malade en arrivant à Paris et fut obligé de retourner aux Andelys pour se rétablir[2]. Il y passa un an, et revint à Paris dans l’intention bien arrêtée d’aller à Rome. Il partit en effet, mais on ne sait quel contre-temps le força de s’arrêter à Florence, d’où il revint en France. Une seconde fois, il fut encore moins heureux et ne dépassa pas Lyon. En 1623, étant à Paris, il fut invité par les jésuites, qui célébraient la canonisation de saint Ignace et de saint Xavier, à concourir pour la peinture à la détrempe des tableaux représentant les miracles de ces deux saints.

Avant cette époque déjà, Poussin avait fait la connaissance du cavalier Marin, qui travaillait alors à son poème d’Adonis, et qui prenait grand plaisir à voir l’imagination du peintre en tirer des sujets de tableaux. Marin voulut l’emmener à Rome vers 1622[3], mais Poussin « n’était pas en état, dit Félibien, de quitter Paris. » Était-ce encore la pauvreté qui l’enchaînait, ou le concours dont nous avons parlé, ou le désir d’achever quelques tableaux commencés et en particulier la Mort de la Vierge[4], conservée long-temps dans une des chapelles de Notre-Dame, et qui date de cette époque ? Félibien et Bellori regardent ce tableau comme un des meilleurs de sa première manière ; mais ce que nous en savons nous suffit pour affirmer que la Mort de la Vierge

  1. Des renseignemens qui nous ont été fournis avec infiniment d’obligeance par MM. Dusommerard et Duban nous portent à croire que ces tableaux, non-seulement ne sont plus dans l’église des capucins, mais qu’ils ne sont pas même à Blois, et qu’il faut les regarder comme perdus.
  2. Nous remarquons une fois pour toutes que Félibien et Bellori, qui nous ont conservé la plupart de ces détails, ne donnent point de dates, et que les indications chronologiques manquent de 1612 à 1623.
  3. L’auteur de l’article de la Biographie universelle de Michaud a commis une erreur en disant que le cavalier Marin fit la connaissance de Poussin après avoir vu ses tableaux commandés par les jésuites. Ces tableaux sont de 1623, et le cavalier Marin retourna à Rome en 1622.
  4. Ce tableau avait été commandé à Poussin par la corporation des orfévres, qui était dans l’usage d’offrir tous les ans un tableau à l’église métropolitaine de Paris.