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Le jeune Poussin, encouragé par Varin, quitta tout pour la peinture. Ses progrès furent si rapides, qu’il n’eut bientôt plus rien à apprendre de son maître. Les ressources bornées de sa petite ville ne lui suffisaient plus ; il quitta les Andelys sans le consentement et probablement même à l’insu de son père, et arriva à Paris en 1612. Il avait dix-huit ans. Poussin, fit, dès son arrivée, la connaissance d’un jeune gentilhomme poitevin qui avait le goût des beaux-arts et lui donna un logement dans sa maison. Après avoir travaillé pendant quelque temps dans l’atelier de Ferdinand Elle de Malines, un assez bon peintre de portraits, il passa dans celui de Lallemand, peintre fort peu habile, suivant Félibien, et dont il ne nous est rien resté ; mais son maître véritable, après son propre génie, ce fut Raphaël.

Quoiqu’un siècle presque entier se fût écoulé depuis la mort du chef de l’école romaine, ses tableaux, et même les gravures d’après lui, étaient fort rares en France ; le roi seul en avait et ne les montrait pas à tout le monde. On sait l’effet que produisirent, vingt ans plus tard, quelques copies de ce maître que le maréchal de Créqui rapporta de Venise et de Rome[1]. Poussin avait fait, par l’intermédiaire de son protecteur, la connaissance d’un mathématicien du roi attaché aux galeries du Louvre, qui possédait une collection de gravures d’après les meilleurs tableaux des écoles italiennes, et même quelques dessins originaux de Raphaël et de Jules Romain. Il eut la liberté de voir et de revoir ce trésor, et même d’en copier les pièces les plus importantes. On peut facilement se représenter la surprise et l’admiration que devaient causer aux peintres français de cette époque les chefs-d’œuvre des écoles italiennes. C’étaient comme des jours ouverts sur un monde inconnu, qu’ils avaient à peine rêvé. Ils passaient sans transition d’une obscurité à peu près complète à la plus vive lumière qui eût jamais éclairé les arts.

Les progrès de Poussin furent sans doute rapides, mais il ne nous reste absolument rien d’authentique qui puisse être rapporté avec certitude à cette époque de sa vie. Son protecteur, rappelé dans le Poitou, l’engagea à le suivre. Le jeune artiste s’y décida, plus par reconnaissance que par ambition. D’ailleurs il pensait sans doute que son temps ne serait pas absolument perdu, qu’il pourrait étudier, et que les travaux de décoration qu’il s’était engagé à faire dans le château de son ami ne lui seraient pas inutiles. Ses espérances furent déçues. Traité comme une sorte de domestique par la mère du jeune gentilhomme, chargé de travaux sans rapport avec son art, à peine supporté comme

  1. On peut consulter sur ce sujet, et en général sur l’état de la peinture en France a cette époque, l’excellent travail de M. Vitet sur Lesueur. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1841.