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un homme dans la vigueur de l’âge : un corps robuste, un esprit étendu et sain, des pensées fortes et délicates, nombreuses, précises ; de vastes aspirations, mais retenues dans les limites des forces humaines ; rien de la fougue inutile de l’extrême jeunesse, rien non plus de la sagesse stérile de la caducité ; jamais de ces chimères trompeuses qui égarent nos premiers pas, que le grand soleil de midi disperse, et qui reviennent, lorsque la raison décline, misérablement dégrader nos dernières années. Ce siècle adulte ne connaissait ni cette inquiétude, ni cette tristesse maladive qui nous dévore, et qui fait si intimement partie de nous-mêmes, qu’il paraît impossible d’en découvrir le germe et de la déloger : mal héréditaire qui circule dans nos veines, et que nous avons sucé au sein de nos mères avec la vie.

Il ne nous reste que des documens incertains et peu nombreux sur la jeunesse de Poussin. Son père, Jean Poussin, était originaire de Soissons, d’une bonne famille, probablement noble, mais ruinée pendant les guerres qui dévastèrent la France au XVIe siècle. Jean Poussin prit part lui-même aux dernières campagnes, et Félibien rapporte que ce fut à la suite du siége de Vernon, auquel il avait assisté avec un de ses oncles, qu’il épousa Marie de Laisement, veuve d’un procureur de cette ville[1]. Nicolas Poussin naquit de ce mariage. Son père, qui, vivait d’une petite pension[2], lui fit faire les études habituelles. S’il faut en croire la tradition, l’enfant, d’ailleurs appliqué, passait une bonne partie de ses heures de leçons à couvrir ses livres et ses cahiers de dessins, incorrects sans doute, mais qui témoignaient déjà de ses dispositions. Quintin Varan, peintre médiocre d’Amiens, dont le nom serait inconnu, s’il n’était associé à celui de Poussin dans l’histoire, pressentit son talent, lui donna quelques leçons et engagea ses parens à ne pas contrarier son goût[3].

  1. L’opinion de Félibien sur la noblesse de la famille de Poussin a été suivie par tous les biographes de ce peintre. Une phrase d’une lettre à M. de Chantelou nous semble jeter quelques doutes sur la question. Poussin dit, en parlant de ses parens, qu’il recommande à son protecteur : « Ce sont gens pauvres et ignorans qui auront besoin de cotre secours, etc. » (Corr., p. 341, Didot.) Plus loin, p. 149, il nomme un sien neveu « ce rustique personnage ignorant et sans cervelle. » Il faut pourtant remarquer que l’ignorance était loin d’être au XVIIe siècle le partage exclusif de la roture.
  2. Voyez la Biographie universelle de Michaud. Les travaux critiques et biographies sur Poussin sont nombreux et en général très insignifians. Les plus importans sans contredit, et pour mieux dire ceux dont on a tout tiré, sont : Félibien, Entretiens sur la vie des peintres ; Bellori, Vite di Pittori, et surtout la Correspondance complète de Poussin, publiée en 1824. Nous ne citerons que pour mémoire la Vie du Poussin par Castellan (1811), la notice donnée par de Piles dans l’Abrégé de Vie des Peintres, les Mémoires sur la Vie de Poussin de Maria Graham, et l’Essai sur la Vie et les Tableaux de Poussin par Cambry. Parmi ces ouvrages, les uns sont de simples résumés biographiques, les autres des études qui s’adressent spécialement aux artistes.
  3. Félibien, Entretiens, etc., IV, p. 242.