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avec un aplomb extraordinaire, et l’incrédulité absolue ne saurait être loin de cette foi aveugle qu’on veut, contre toute logique, tuer au sein de la religion du libre examen. Le protestantisme anglais, entre le puseysme, qui le pousse vers le catholicisme, et l’unitairianisme, qui le pousse vers la philosophie, s’efforce en vain de se cramponner à la tradition qu’il a rejetée. Tiraillé en tout sens, divisé en sectes qui se subdivisent elles-mêmes, comme en ce moment le méthodisme, il chancelle, et avec lui la société politique ; dont il est le plus sûr fondement.

Sans doute toutes ces agitations sont le produit de la vie, sinon de la santé, et la tranquillité religieuse de l’Espagne, qui a sacrifié ses moines, et dont la philosophie est encore à naître, cette tranquillité tient au sommeil de l’ame et de l’intelligence. Cependant cette nation n’est pas morte, depuis vingt ans, elle a accompli une grande évolution ; elle est sorties du moyen-âge. La chrysalide engourdie pendant que s’opérait la transformation, la transformation accomplie, va peut-être se réveiller et déployer ses ailes. Déjà un grand progrès économique s’est réalisé. Qui nous dit qu’une ère de renaissance ne viendra pas pour cette race héroïque qui, durant huit siècles, a combattu à l’avant-garde de la chrétienté ? Ni l’intelligence, ni le courage ne lui manquent. Il lui manque une impulsion et un but ; le but peut se présenter : qu’il se présente, et l’impulsion sera donnée. Du reste, dans le sein de la nation espagnole, il n’y a point de haines sérieuses de classes et de partis ; la mendicité au soleil n’atteint jamais à l’affreuse misère des tristes climats du Nord. Il se passera bien du temps avant que la population croissante et l’industrie développée outre mesure fassent naître pour l’Espagne les dangers qui menacent les autres pays. À la fois protégée contre l’Europe par les Pyrénées, et communiquant par la mer avec l’Amérique et l’Orient, sa situation est incomparable. On peut donc ne pas désespérer de ce noble peuple, qui fut si grand, qui ne porte sur son front la marque d’un peuple condamné. L’Espagne a eu, comme l’Angleterre, le passé ; elle n’a pas, comme elle, le présent ; à qui sera l’avenir ?


JEAN-JACQUES AMPERE.