la grève, peinture qui donne au lecteur aussi bien qu’à Edgar. Les chênes et les verdoyantes retraites de Windsor évoquent le souvenir du début harmonieux de la muse de Pope. Les bords de la Saverne ont la fraîcheur des inspirations que leur demandait Milton, jeune encore, avant que les orages politiques lui eussent révélé l’enfer. En mémoire de Shakspeare, on va visiter les bords de l’Avon, dont il fut le cygne, et, en contemplant cette nature si douce, si paibile, si reposée, on s’étonne d’abord qu’elle ait vu naître l’auteur d’Hamblet, de Macbeth, d’Othello, mais on se rappelle bientôt que nul entre les auteurs dramatiques n’a plus que Shakspeare fait vivre les personnages de leur vie propre et n’a moins parlé par leur bouche. On se souvient d’ailleurs qu’il a aussi crée Desdémone, Juliette, Imogène, qu’il a composé des sonnets pleins de délicatesse, et que ses contemporains l’ont appelé le cygne de l’Avon avant moi, qui le nommais ainsi tout-à-l’heure peut-être à l’étonnement de mon lecteur. En apercevant de la terrasse de Windsor les tours et les clochers d’Eton, à l’horizon le voyageur reconnaît que c’est de là que Gray les contemplait quand il murmura le premier vers de son ode mélancolique.
Ye distant spire, ye antique towers !
À chaque pas, en Angleterre, on trouve une localité que la poésie ou le roman ont consacrée. À Londres, il n’est pas un quartier où ne soit présent le souvenir d’un grand écrivain de l’Angleterre. On montre à l’étranger la place où était le théâtre du Globe, sur lequel fut joué Shakspeare, et le café littéraire où Johnson rendait ses arrêts.
La terre d’Espagne a aussi ses souvenirs poétiques. Les passages des Pyrénées s’appellent encore aujourd’hui des ports comme dans les romances chevaleresques ; Burgos montre le coffre sur lequel, suivant une de ces romances, le Cid emprunta mille maravédis à des Juifs qui croyaient le coffre plein de pierres précieuses Le Cid, ayant payé les Juifs, fit ouvrir le coffre devant eux, il était plein de sable, et comme ils s’étonnaient, le Cid leur dit : Ce coffre contenait mieux que des pierres précieuses, il contenait la parole, ou, selon l’énergique expression de la romance, la vérité du Cid, langage altier et chevaleresque s’il en fut ; mais cette application de la chevalerie aux affaires eût de nos jours mené le Cid en cour d’assises.
Cependant il y a bien moins de lieux consacrés par cette popularité, que dispensent les grands écrivains en Espagne qu’en Angleterre. C’est un Français qui n’est jamais sorti de son pays, c’est Le Sage auquel on pense plus qu’à nul autre auteur en traversant les villes de l’Espagne, tant il s’était empreint de l’a couleur espagnole par son contact avec les romanciers de la Péninsule, à la famille desquels il appartient sans cesser jamais d’être Français par l’art et le style, et qu’il a tous surpassés.