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est la langue d’un peuple énergique et affairé, qui n’a point de temps à perdre ; et à qui un monosyllabe suffit pour exprimer rapidement sa pensée, ou traduire sa volonté dans le moindre délai possible. Quelle magnifique langue que celle où des mouchettes s’appellent despabilladeras, et un éteignoir apagador ! Quelle langue expressive et prompt que celle où, dog veut dire suivre quelqu’un à la trace, comme un chien suit sa proie, et où, dans l’usage familier, cut veut dire sembler ne pas reconnaître quelqu’un pour rompre une fâcheuse connaissance !

La littérature anglaise et la littérature espagnole sont profondément nationales, bien que toutes deux aient subi une influence étrangère et conquérante : la première, l’influence des Normands ; la seconde, celle des Arabes. L’une et l’autre ont un théâtre purement indigène, et qui ne doit rien à l’imitation de l’antiquité ; mais Shakspeare est le poète de la passion, et Calderon le poète de la fantaisie : le premier est un grand peintre d’histoire et de portraits, le second un musicien merveilleux qui a produit d’admirables symphonies dramatiques ; l’un dessine fortement des caractères vrais, l’autre se joue avec des événemens invraisemblables, et se plaît parmi des personnages impossibles ; l’un enfin, a exprime avec une profondeur que nul n’a surpassée tous les sentimens de l’ame, hormis un seul, le plus intime et le plus puissant, le sentiment religieux ; l’autre, dans les Autos sacramentales, a symbolisé tous les sujets dramatiques qu’il empruntait tour à tour à l’histoire et à la fable, pour y retrouver et y reproduire le mystère fondamental du christianisme, l’incarnation, le dogme souverain du catholicisme, la présence réelle. Cervantes est un génie de la même famille que Shakspeare ; mais le romancier méridional a représenté la vie humaine par deux types qui la contiennent, et, comme on dit aujourd’hui assez pédantesquement, la résument tout entière, par don Quichotte et par Sancho, c’est-à-dire par l’idéal et par le réel. Il a concentré et condensé, pour ainsi dire, tout l’enseignement moral que l’observation de notre nature lui avait fourni dans une œuvre classique. Le poète du Nord a dispersé les trésors qu’il devait à une observation encore plus profonde et infiniment plus variée dans une foule de créations romantiques, admirables, sans doute, mais dont aucune peut-être n’offre un tout aussi achevé que Don Quichotte.

La littérature anglaise est plus inhérente au sol natal que la littérature espagnole, on y retrouve mieux son empreinte. Sans parler de l’Écosse, où l’on va de Walter Scott à Ossian, et des champs cultivés et décrits par Burns, le fermier-poète, à la Bruyère maudite, immortalisée par Shakspeare, il y a cent localités en Angleterre auxquelles sont liées les créations de la poésie nationale. L’aspect de la falaise de Douvres rappelle la peinture que Shakspeare trace, dans le Roi Lear, des effets d’un escarpement immense, d’où l’œil plonge d’en haut sur