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et par goût des aventures ; et les chefs pour gagner l’enjeu de la partie, c’est-à-dire le pouvoir : si bien que le pays long-temps le plus agité de l’Europe était devenu le plus tranquille depuis qu’une vigoureuse avait comprime les ambitions individuelles qui le doublaient à la surface.

Voilà pour les différences politiques, voici pour les diversités sociales. Le Castillan et l’Anglais sont fiers tous deux, et respectent dans leur personne, l’un le gentleman, l’autre le caballero mais chacun peut se direct se croire caballero, tandis que pour être gentleman il faut avoir de l’argent. En Espagne, tout le monde est noble A Grenade, mon cicérone, qui s’appelait Ximenès, ne doutait point qu’il ne fût parent du cardinal de ce nom. Les formes du langage sont pompeuses et aristocratiques : on s’adresse à un décrotteur ou à un mendiant en employant la troisième personne et l’expression consacrée votre merci, qui correspond à votre seigneurie. En Angleterre, sauf les lords et les évêques, sir est adressé à tout le monde, comme en français monsieur ; mais le rapport des classes n’en est pas moins un rapport d’inégalité : seulement c’est une inégalité consentis qui ne blesse personne et dont tout le monde s’arrange à merveille. En toute circonstance, chacun se place naturellement d’après sa situation sociale. Sur l’impériale des voitures publiques, il n’est interdit à personne de prendre place sur la banquette de devant ; mais, en fait, il arrive que presque toujours cette banquette est occupée par des gentlemen. La place à côté du cocher, qui est réputée la meilleure, est en général donnée, d’un consentement tacite, au personnage le plus considérable, et on ne la lui dispute point. J’ai observé que celui-ci ne manque jamais d’adresser plusieurs fois la parole au cocher, qui m’a paru répondre constamment, sans familiarité et sans obséquiosité, comme à un supérieur, non comme à un maître. En Espagne, c’est autre chose : là règnent la liberté, l’égalité, la fraternité… du cigare. Un mendiant s’arrête devant un grand d’Espagne en disant : Haciame el favor de su candela, ou en ne disant rien du tout. Le grand d’Espagne prête son cigare au mendiant, qui allume le sien. Du reste, le mendiant a l’air aussi noble et souvent plus noble que le grand d’Espagne ; il n’y a nulle effronterie dans sa requête, que l’usage autorise, et son geste en rendant le cigare est plein de courtoisie. L’égalité n’est point arrogante en Espagne ; l’inégalité n’est ni basse ni insolente en Angleterre.

Le contraste que je poursuis entre les deux peuples que je compare est aussi grand dans leurs langues et dans leur littérature que dans tout le reste. L’Espagnol est le plus plein, le plus sonore des idiomes néo-latins. L’anglais est le plus contracté, le plus bref des idiomes germaniques. L’un est une langue d’oisifs superbes, de gens qui n’ont rien autre chose à faire qu’à écouter leur parole retentissante ; l’autre