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pouvez sans l’avoir vu, et vous aurez une idée du mouvement incessant et incroyable de cette Babylone et vous comprendrez les tableaux de Martins, et ces foules immenses ces processions interminables dont il remplit ses toiles. On ne flâne pas dans les rues de Londres. Le beau monde fait le tour d’Hyde-Park, en voiture ou à cheval ; la classe moyenne va voir passer les voitures et les chevaux, on mène les enfans à la promenade mais il n’y a rien qui ressemble aux promeneurs de la grande allée des Tuileries ou du boulevard des Italiens. Comparez enfin au mot pasear, qui semble, se prélasser paresseusement, ce monosyllabe presse, walk.

À Londres on peut appliquer à la puissance du peuple anglais ce qu’on lit à Saint-Paul sur le tombeau de l’architecte qui l’a élevé : si vous cherchez le monument de sa gloire, regardez autour de vous. Partout des rues larges comme la rue Royale et longues comme la rue Saint-Denis ; des places renfermant un jardin : c’est ce qu’on appelle un square ; partout de l’espace, partout le sentiment de l’étendue, de l’immensité. Pas de barrières, pas de limites à cette vaste agrégation d’homme qui s’étend indéfiniment des deux côtes d’un grand fleuve touche à quatre comtés, a englouti vingt villages, et compte aujourd’hui deux millions et demi d’habitans ; et ce prodigieux accroissement ne s’arrête point, car en dix ans, de 1839 à 1849, la population s’est augmentée de quatre cent mille ames, et pendant le seul mois de juillet on a bâti quatre cents maisons.

Les personnes qui n’ont pas vu Londres dans ces dernières années ont peine à se figurer, ce mouvement démesuré, que l’introduction des omnibus a augmenté considérablement, et que l’usage des chemins de fer étend à toute l’Angleterre. Maintenant tout le monde est en mouvement, tout le monde se déplace d’un bout de la Grande-Bretagne à l’autre ; rien n’est plus curieux que de voir emporté par ce mouvement perpétuel un peuple dont la physionomie demeure si tranquille, et dont cette impétuosité ne dérange pas le flegme. On va en seize heures à Édimbourg, en quatorze heures à Dublin. Quand la mer se rencontre sur la route, on trouve un bateau à vapeur au débarcadère et l’on passe la mer. Pour pouvoir faire franchir à un chemin de fer le détroit qui sépare le pays de Galles de l’île d’Anglesey, on élève en ce moment, à 100 pieds au-dessus des plus hautes marées, un tunnel aérien qu’on appelle un pont tubulaire. Les tours qui soutiennent ce miracle de hardiesse ressemblent aux pylônes de Thèbes : on dirait l’œuvre d’un peuple de Titans civilisés. Jusqu’ici, il fallait toujours soutenir un pont par des arches ou le suspendre par des liens de fer ; le principe des ponts tubulaires est autre : on fait le pont, on le hisse à 100 pieds ; on pose une de ses extrémités sur une rive, l’autre sur l’autre rive du bras de mer à franchir, comme un enfant place une planche,