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Chez les deux peuples, le sentiment religieux existe, seulement chacun d’eux le ressent et le manifeste à sa manière ; mais, hélas ! il faut le reconnaître, il se trouve, des deux parts, beaucoup d’habitude, de routine, d’apparence extérieure. En Angleterre, le sentiment religieux est souvent remplacé par le respect religieux, et l’on traite Dieu un peu comme un souverain constitutionnel, devant lequel on plie le genou dans les circonstances solennelles et dont on s’occupe médiocrement dans le cours de la vie ordinaire, comme un souverain pour lequel on éprouve un attachement rationnel parce qu’on voit en lui le garant de l’ordre public plutôt qu’on ne ressent une tendresse émue et presque amoureuse à la manière de Sainte Thérèse. Je n’oublierai jamais un Anglais avec lequel je me trouvais dans une voiture publique. C’était le dimanche. Il tira sa montre et me dit : — À cette heure, ma femme est à l’église. Elle prie pour vous, lui dis-je. Il parut étonné de ma conjecturé sentimentale, et me répondit froidement : — Monsieur, c ’est l’usage (T’is a custom, sir).

Du reste, dans un tout autre genre, il y a place, aussi dans la religion, telle que la pratiquent les Espagnols, pour les convenances, et un culte tout extérieur : J’ai vu une magnifique procession défiler dans les rues de Madrid ; les autorités civiles et militaires marchaient en tête. La partie officielle et matérielle de la cérémonie était très imposante, mais rien de moins édifiant que l’attitude et les discours de la foule. Même au moment où passa le saint-sacrement, je n’observai point cette émotion électrique qui, en Italie, dans un pareil instant, traverse soudain une foule rieuse et la précipite à genoux. À peine donnait-on une marque convenable de respect ; mais la distraction et la gaieté générales n’étaient pas réellement interrompues, et je crois que dans cette foule plus d’un aurait pu me dire comme l’Anglais : C’est l’usage.

Une autre ressemblance qui ne fait honneur à aucun des deux pays, c’est que l’un et l’autre ont donné à l’Europe, — hélas ! la France a bien quelque chose à se reprocher sur ce chapitre, le plus odieux exemple d’intolérance et de persécution religieuse. Si les atrocités de l’inquisition déshonorent les annales de l’Espagne, les barbaries de Henri VIII, qui brûlait impartialement sur un même bûcher des protestans et des catholiques, ont quelque chose de plus horrible et de plus complet, et les cruautés religieuses ont souillé le pouvoir glorieux d’Élisabeth, comme le règne détesté de Marie. C’est seulement de nos jours que les incapacités politiques qui frappaient les papistes ont été supprimées, au grand scandale des dévots, et la législation anglaise conserve encore des dispositions pénales contre les catholiques, dispositions que certes on ne craint pas de voir appliquer, mais que le parlement a récemment refusé d’agroger par un vieux respect pour ce principe d’intolérance qui a tant de peine à sortir des cœurs, quand une fois il y est entré.