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doit-il disparaître pour nous dans quelque obscure tempête ? À Rome, au moins il eut la gloire de ne tomber que devant le grand César ; nous nous serions tombés devant l’ivrogne Antoine ou la tourbe sans nom des complices de Catilina ! Que le ciel écarte de la patrie une telle honte ! L’avenir est triste et obscur ; il n’est pas fermé. Tout n’est pas dit sur notre destinée. Étudions cette époque curieuse de la décadence de la république romaine, sans découragement, sans parti irrévocablement pris, avec la volonté énergique au contraire de guérir ; et de nous préserver d’autant plus des maladies de la décadence romaine que nous en reconnaîtrons en nous-mêmes les premiers symptômes. Rome a péri par la jalousie des grands politiques, par les ambitions personnelles, par l’égoïsme des partis rivaux ; l’anarchie est descendue du sénat dans la place publique. Nous sommes sur ces pentes fatales qui ont conduit la société romaine à sa fin ; qu’un effort vigoureux nous rejette loin de l’abîme.

Nous aurions voulu pousser plus loin cette étude : les efforts désespérés de Brutes pour la liberté romaine, le neveu de César recevant de Rome fatiguée et indécise la succession d’un grand homme, toute cette partie de l’histoire romaine a bien aussi gagné aux événemens du jour cet à-propos qui remet à la mode les vieilleries d’un autre âge. Il nous suffit cependant d’avoir éveillé la pensée de ces rapprochemens ; ils se feront d’eux-mêmes. L’esprit public n’a pas besoin de ces clés avec lesquelles on expliquait autrefois les allusions du Télémaque.

Au reste, ce n’est pas seulement des conseils et des exemples qu’il faut chercher dans les lettres de Cicéron., il y a autre chose à leur demander, et je voudrais qu’on eût pu l’entrevoir à travers la partie purement politique que j’ai mise en relief : c’est le charme et la douceur des sentimens privés. Par ce côté-là, on peut dire, et cette fois à la louange de tous les deux, que Cicéron représente aussi la France nouvelle ; si nous avons trouvé l’homme public faible, incomplet, plein d’inconséquences et de trouble, l’homme privé nous montre des vertus douces et intimes, qui manquait à la Rome antique, et dont l’histoire tiendra compte à notre temps : un caractère aimable, les affections les plus tendres de la famille, des amitiés sérieuses et charmantes, un soin touchant pour les inférieurs, quelque chose enfin de simple et de bon, comme la familiarité du génie. Quelle tendresse pour son fils ! Comme il voudrait lui laisser sa gloire en héritage ! Quelle douleur et quels regrets pour sa fille Tullie ! On admire Cicéron dans ses discours ; on l’aime dans ses lettres : l’excellent homme ! comme il vous promène avec plaisir dans ses maisons et ses jardins ! Quelles bonnes heures on passe avec lui dans cette bibliothèque si habilement mise en ordre par son affranchi, le cher Tyron ! Qu’on sait bon gré à cet esprit supérieur de vous montrer ses petites préoccupations de propriétaires,