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Chez lui, rien de stable, rien de solide qui dure et qui résiste… Hélas ! telle a été aussi la destinée d’une génération élevée hors de toute croyance dogmatique et jetée en proie au doute universel : incertaine, sceptique et malheureuse de son incrédulité, se sentant bannie du ciel, elle n’a pas trouvé à s’attacher plus solidement aux choses de ce monde. Les révolutions l’ont promenée à travers les formes les plus diverses de gouvernement, comme la philosophie à travers les systèmes. D’où lui serait venue la foi, et en quelle chose ? Née à peine il y a un demi-siècle, elle a vu naître ou mourir toutes choses. Les temples étaient fermés à sa naissance, et elle peut dire quel jour Dieu a reparu sur l’autel ; elle peut dire aussi ce que valent la fraternité républicaine aboutissant à la place de la Révolution et la gloire militaire à Waterloo. La légitimité et la majesté de ses huit siècles ne l’ont pas touchée, elle n’y a vu que des vieilleries ; la monarchie parlementaire lui a été annoncée par les plus beaux esprits comme le refuge glorieux et assuré où elle pourrait arrêter ses destinées : elle l’a tentée avec tous les moyens qui font le succès, un roi sage et habile, les orateurs les plus éloquens au Forum, l’a liberté et la prospérité publique au-delà de tout ce qui a été dans le passé ; rien n’a satisfait l’ardeur et l’effrayante mobilité de ses goûts et de ses dégoûts. Retombée dans la république après avoir parcouru le cycle entier des gouvernemens, elle en est aujourd’hui à considérer les questions de gouvernement comme peu de chose. Oui, l’histoire aura peine à le croire, mais à cette heure, que la monarchie ou l’empire soient relevés, que la république persiste, ce n’est plus-là ce qui constitue, sépare ou réunit les partis : c’est la société même et l’humanité que les architectes de Babel veulent rebâtir et que d’autres s’efforcent de préserver. De la discussion : si le roi doit régner ou gouverner ; on est arrivé à celle-ci : si la propriété est un vol ou un droit légitime. Aux pétitions qui demandaient une certaine augmentation dans le nombre des électeurs, on a répondu par le suffrage universel. Une fois lancé sans lest à travers l’espace, l’esprit humain ne s’arrête pas, et la logique emporte la raison : c’est que l’on ne fait pas plus sa part au doute qu’au feu ; et quand le doute est devenu le fondement même de l’éducation, la loi de l’esprit, s’étonner de la solitude et des ruines qu’il sème vite autour de lui rappelle trop la naïveté de l’enfant étonné si l’étincelle produit l’incendie.

À l’époque de sa vie que nous retraçons, Cicéron penchait tous les jours davantage vers les doctrines d’Epicure ; ces doctrines favorisaient ses principes sur la soumission au pouvoir établi, elles lui donnaient ces plaisirs matériels que l’on n’a pas le temps de goûter dans le mouvement des grandes ambitions et qui consolent quelquefois les gens obscurs de leur obscurité même. La tristesse des temps, l’incertitude du lendemain,