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la foi aux mystérieuses destinées de l’ame immortelle s’est éteinte ou obscurcie au fond des cœurs, chose étrange, la vie elle-même semble perdre de son étendue. Après avoir rejeté l’idée d’une autre vie, on en vient à croire à peine au lendemain ; tout se concentre sur le moment présent et s’y borne ; l’œil n’embrasse plus même l’horizon de cette existence si courte ici-bas. Lorsque le soleil cesse d’éclairer les sommets élevés des montagnes, la nuit tombe aussi sur la demeure des hommes, et les objets qui nous environnent disparaissent aussi complètement pour nos yeux que les plus reculés.

La nature de Cicéron, d’une grandeur purement humaine et tempérée par le bon sens, n’avait jamais pu s’exalter jusqu’aux hauteurs du stoïcisme. En philosophie comme en politique, il était du juste milieu. Il s’était tenu entre Zénon et Épicure comme entre Pompée et César. Il appartenait à la secte des nouveaux académiciens ; c’était l’éclectisme d’alors. « La vérité et l’erreur, disaient-ils, n’ont point de caractère certain ; la vérité existe sans doute, mais toutes les vérités sont mêlées d’erreurs ; et réciproquement ; les apparences des unes et des autres nous trompent sans cesse ; on peut admettre des probabilités, non des certitudes. La vie se règle sur le probable de chaque jour ; c’est tout ce qu’on peut dire. » On comprend ce qui, doit valoir une telle règle pour la conduite de la vie ; point de religion positive, point de philosophie dogmatique ; tout est remis en question chaque matin. À Rome, comme de nos jours, on avait renversé ces remparts protecteurs que les convictions religieuses et philosophiques élèvent le long de la route de la raison humaine. On s’appuyait sur le vide et le néant.

C’est là et non ailleurs, c’est dans la philosophie de Cicéron qu’il faut chercher les causes de ces étranges faiblesses, de ces défaillances d’ame qui nous surprennent quelquefois dans cet homme, qui fut aussi grand un jour que les plus grands hommes. Son esprit, vaste et incertain, comprenait tout et n’affirmait rien ; les lumières si vives de son intelligence n’éclairaient souvent que le trouble et le confusion des dessins : tout était chez lui matière à controverse, même le devoir. Il doutait, il délibérait quand il fallait agir, et s’il agissait enfin, au fort même de l’action, il s’arrêtait pour délibérer encore ; il préférait toujours les partis mitoyens, le juste-milieu, les transactions, aux résolutions tranchées et énergiques, parce que celles-ci n’admettent point de retour, et que rien n’était jamais irrévocablement décidé au fond de l’ame de Cicéron. Il n’avait jamais été franchement ni pour Pompée, ni pour César ; il essaya plus tard de se tenir entre Brutus et le jeune Octave ; de nos jours, il eût inventé le parti de la république honnête et modérée. C’est que sa philosophie n’était que le doute, à peine déguisé de la magnificence des paroles ou l’éloquence de l’exposition.