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près d’être désertés. Ce n’est guère par l’argumentation qu’on arrive dévouement et au sacrifice ; aussi est-ce avec une sorte de désespoir que Cicéron s’écriait : « J’agis contre tous les enseignemens de l’histoire et contre ma propre pensée. Si je veux partir, d’ailleurs, c’est moins encore pour aider une faction dans ses violences que pour ne pas être témoin des violences de l’autre. Ne croyez pas qu’on s’arrête en chemin. Ne les connaissez vous pas tous aussi bien que moi, les Cesariens ? Ne savez vous pas qu’il n’y a plus de lois, plus de magistrats, plus de justice ? que les fortunes particulières et la fortune publique ne sueront pas aux débauches, aux profusions et aux besoins de tant de misérables qui manquent de tout ? Donc, à tout prix, je veux m’embarquer. Sortons donc de ces lieux et partons, n’importe par quelles mers, par où il vous plaira, mais partons ; rien ne peut plus me retenir… si tel est toutefois votre avis, » ajoute-t-il. Et il écrivait en même temps à un ami de César « Partir sans votre aveu, c’est à quoi je n’ai jamais songé. Vous connaissez mes petites propriétés ; il faut bien que j’y vive, pour n’être pas à charge à mes amis, et je me tiens plus volontiers dans celles qui bordent la mer ; c’est ce qui a fait croire à un départ. » Puis cependant il a quelque honte du mensonge, car l’irrésolution en donne toutes les apparences ; et il continue : « Je n’y répugnerais pas trop peut-être, si le repos était au bout ; mais guerroyer et me battre contre un homme qui doit être assez content de moi, et pour un homme que je ne contenterai jamais ! »

Peut-être fallait-il à ce caractère irrésolu une impulsion étrangère ou quelque événement imprévu qui décidât pour lui : ce fut la crainte de ne pouvoir plus partir qui détermina son départ. Antoine, instruit de ses projets, lui signifia qu’il avait l’ordre de César de le retenir en Italie. Alors seulement Cicéron voulut sérieusement partir, et partit en effet. « À défaut de vaisseau, je prendrais plutôt une nacelle pour me sauver de ces mains parricides. Je suis piqué au vif… »

La bataille de Pharsale lui rendit bientôt sa liberté. Il ne suivit ni Caton à Utique ni les fils de Pompée en Espagne ; il croyait avoir suffisamment acquitté sa dette envers le sénat, et se hâta de revenir en Italie. Tout dans le camp de Pompée avait choqué cet esprit sage et modéré. « Je me suis éloigné de Pompée, et ne m’en repens pas : c’étaient des projets atroces, un pêle-mêle effroyable avec les barbares, la proscription arrêtée non par tête, mais par masse, les biens de tous ceux qui sont restés là-bas regardés comme un butin légitime. » Ces prévisions étaient bien vraisemblables. Dans les momens de réaction, qui veut parler de modération et d’indulgence devient suspect à son propre parti ; la multitude est maîtresse.