Cependant en Italie, des Apennins aux rivages de la mer Tyrrhénienne, les chemins se couvraient de soldats. Les vétérans de Sylla s’agitaient dans les campagnes, on armait les affranchis et les esclaves. Quel parti prendrait Cicéron ? Bien que ses vœux fussent pour la cause de Pompée, il délibérait en règle sur cette question ; il la plaidait vis-à-vis de lui-même et de ses amis avec une abondance intarissable ; il en connaissait le fort et le faible, et de tout cet amas d’argumentations contradictoires il lui restait ce qui reste des longues délibérations, l’incertitude. César marchait sur Rome ; il s’était déjà emparé des villes de la côte. « Est-ce d’un général du peuple romain que nous parlons ou d’un autre Annibal ? s’écriait Cicéron. Quoi ! Avoir une armée à soi dans la république, s’emparer des citoyens romains, ne rêver qu’abolition des dettes, proscriptions, etc. ! » Cependant le général romain marchait comme. Napoléon au retour de l’île d’Elbe. Les populations des campagnes se soulevaient et se rangeaient sous ses aigles. Les consuls avaient abandonné Rome. « Pompée fuyant est un spectacle qui a remué toutes les ames, » disait Cicéron ; lui-même cependant se préparait aussi à quitter Rome : on y craignait déjà les horreurs du pillage et de l’incendie. Toutes les femmes de distinction avaient quitté la ville : Terentia et Tullie s’étaient réfugiées dans une de leurs maisons de campagne, à Formies. Des quartiers entiers étaient déserts. Chacun était en proie à ces soucis de fortune, à ces préoccupations de la vie matérielle, si bien connues du Paris de février et de mars 1848. Personne ne payait plus ; la monnaie se cachait ; le change de l’or était monté à un taux extraordinaire. Cicéron envoyait sa vaisselle chez le fondeur. — « Assurez-vous, au moins qu’il n’y ait point d’alliage dans l’or de Coelius, écrit-il. C’est bien assez de tant perdre sur le change sans perdre encore sur l’or. Je vous en conjure, cherchez, rassemblez chez moi tout ce qui peut être de défaite, meubles ou vaisselle, et le peu qu’on en tirera, mettez-le en sûreté. » Il ne pouvait rien obtenir de ses débiteurs. « Égnatius ne manque pas de bonne volonté, écrit-il, et il reste fort riches ; mais les temps sont si durs, qu’il ne peut pas même se procurer l’argent qui lui est nécessaire pour partir : on ne trouve nulle part à emprunter et à aucun taux. »
Plus le moment de prendre une détermination virile approchait, plus Cicéron comprenait que l’opinion de ses amis et sa propre conscience l’attachaient aux destinées de Pompée, et du sénat, plus aussi, par une réaction naturelle chez les gens en qui les facultés de l’esprit l’emportent sur l’énergie du cœur, il recherchait les prétextes qui pouvaient le retenir en Italie. Pourquoi Pompée avait-il fui ? Pourquoi,