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publiquement de ses prétentions ; César, au contraire, l’habile César, lui promettait de parler en sa faveur. On éprouve une secrète pitié à voir Cicéron poursuivre opiniâtrement sa demande avec un mélange singulier de vanité et de moquerie de cette vanité même. Cette disposition à ne pas prendre au sérieux ses propres désirs est un des symptômes les plus certains des époques de décadence. On poursuit des plaisirs dont on sait le vide, on est malheureux de ne pas obtenir, et ce qu’on obtient n’a plus de charme. Tout en importunant ses amis de ses prétentions, Cicéron fait l’esprit fort ; il se raille agréablement des honneurs triomphaux. Quelle misère pour un philosophe ! On n’a pas parlé autrement à la dernière assemblée constituante de ces décorations, misérables hochets de la vanité !

« Peut-être me demanderez-vous comment il se fait que je tienne tant à ce je ne sais quoi d’honneurs triomphaux que j’attends du sénat ? Je répondrai avec franchise que, s’il est un homme au monde que sa nature et plus encore, je le sens, ses réflexions et ses études éloignent du goût d’une vaine gloire et des applaudissemens du vulgaire, cet homme, à coup sûr ; c’est moi ; mais il m’est impossible de ne pas mettre un grand prix à l’opinion du sénat et du peuple, et aux témoignages qui la peuvent mettre en évidence. Je vous demande d’employer tous vos efforts pour que les félicitations du sénat me soient décernées avec le plus d’éclat et de promptitude possibles. »

Aux époques fermes et sincères rien de pareil : alors on croit et on veut sérieusement, on ne se moque pas de ses propres sentimens ; l’esprit d’analyse n’a pas détruit par avance la valeur des biens qu’on a souhaités ; on n’outrage pas sa propre idole. Les distinctions et les honneurs ont plus besoin encore du respect de ceux qui les obtiennent que des hommages de la foule. Voyez comme Saint-Simon parle du cordon bleu : quelle ardeur sincère dans ses désirs ! quelle constance, quelle foi dans son ambition, dans sa jalousie même ! Il n’affecte pas la philosophie de Cicéron, il hait les rivaux qu’on lui préfère, il les dénigre : « Le cordon bleu est profané, dit-il, on vient de le donner à M.*** ! » Mais on ne profane que les choses sacrées, et le lendemain Saint-Simon est aussi ardent à sa poursuite que la veille. Voici, au contraire, un illustre écrivain de nos jours qui, comme Cicéron, arrive, par les lettres et l’éclat de son talent, au gouvernement de son pays c’est encore du cordon bleu qu’il s’agit. Après la guerre d’Espagne, en 1823, M. de Chateaubriand pensait avoir mérité le cordon bleu. Le roi le lui faisait attendre à tort, je crois : le service qu’il venait de rendre était immense ; mais voyons comment il demandera ces honneurs triomphaux de la restauration. Avec le respect de Saint-simon ou avec les railleries de Cicéron ? croira-t-il le premier à ce qu’il désire, ou se montrera-t-il esprit fort ? Hélas ! j’ai dit en commençant