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du jour, bien décidé à priver la république de ses services tant que la république ne voudra pas accepter.

« Oui, je désire, et depuis long-temps, visiter Alexandrie et l’Orient ; mais accepter une telle mission, dans de telles circonstances et de telles mains, gare les propos de nos gens de bien ! Que diront-ils en effet ? Que l’intérêt m’a fait transiger sur mes principes ; Caton surtout va se répandre en reproches, Caton, dont je compte la voix pour cent mille ! Le mieux je crois, est d’attendre et de voir venir. Si on me fait des avances, je serai à mon aise et me consulterai, et puis, souvent on a bonne grace à refuser. Ainsi, dans le cas où on vous en toucherait quelque chose, ne dites pas non absolument. »

Cicéron partit pour la Cilicie ; à peine y était-il qu’il comptait déjà les jours qu’il devait y passer. Ses préoccupations, ses intérêts, ses regrets étaient à Rome. Il faut voir dans ses lettres avec quelle importunité il exige de ses amis, des nouvelles de chaque jour, des détails minutieux sur tout le monde. « Que fait Pompée ? que dit César ? que devient la république ? » et quelquefois aussi « Comment fait-on pour se passer de moi[1] ?


V

La patience de Cicéron fut bientôt à bout. Il revint à Rome sans attendre l’arrivée de son successeur. La guerre civile allait éclater : peut être avait-il espéré aider à une réconciliation, servir de médiateur entre César et Pompée ; mais voilà que tout à coup il s’arrête obstinément aux portes de Rome : une étrange ambition avait envahi son ame tout entière. S’il entrait à Rome, il ne pourrait plus prétendre aux honneurs triomphaux, et ces honneurs, il les voulait à tout prix ; il ne s’agit plus alors de la république qui va périr, des légions de César qui passent le Rubicon, de la liberté qui doit trouver son tombeau à Pharsale il s’agit de sa vanité !

Cicéron avait remporté quelque mince avantage sur les Parthes en Cilicie. Il avait été salué imperator par ses soldats sur les bords de l’Issus, précisément, comme il a soin de nous l’apprendre, aux mêmes lieux où Alexandre défit Darius. Il demandait que le sénat sanctionnât sa gloire et lui accordât les honneurs triomphaux[2]. Caton se moquait

  1. On lui faisait arriver tous les journaux du temps ; un de ses amis lui écrit : « Vous trouverez dans le journal que je vous envoie les opinions individuelles comme elles ont été prononcées au sénat. Prenez ce que vous voudrez. Il y a beaucoup à passer, les nouvelles de théâtre, les funérailles, et autre fatras. Le bon toutefois y domine. »
  2. Ce n’était pas le triomphe, mais ce que les historiens ont appelé le petit triomphe, des félicitations solennelles et une entrée publique où ne figurait pas cependant l’armée victorieuse.