Cicéron cependant n’était point oublié de ses amis. Ils travaillaient activement à lui faire rouvrir les portes de Rome, et, dix-huit mois après il rentrait dans sa patrie. On sait comment se font les restaurations ; le même peuple qui avait chassé de Rome le grand consul pressait sur son passage. Les villes envoyaient des députations pour le féliciter. « Enfin, de la porte Capène, dit-il, j’aperçus les degrés des temples couverts d’une masse de peuple qui me témoignait sa joie par des acclamations qui ne cessèrent point jusqu’au Capitole. » Dans le Forum, même affluence de citoyens. Il harangua le peuple, et, malgré la modération de ses paroles, les partisans de Clodius furent insultés et hués. Le sénat, de son côté, s’occupait de lui faire restituer ses maisons et ses biens. Contenu par cet espoir, Cicéron, loin de triompher de son rappel, observait une conduite prudente et ménageait tous ceux de qui pouvait dépendre la restitution qu’il sollicitait ? Il rend compte d’une délibération importante au sénat.
« Moi, je me tais d’autant plus que les pontifes n’ont encore rien décidé pour ma maison. S’ils annulent le séquestre, j’aurai un terrain magnifique, les consuls feront estimer ce qui était dessus et démolir ce qu’on y a élevé ; on évaluera tout ce que j’ai perdu… Les consuls m’ont adjugé à dire d’experts 2 millions de sesterces (250,000 francs) pour le sol de ma maison. Du reste, ils ont taxé très peu généreusement ma maison de Tuscudum à 200,000 sesterces et celle de Formies à 250,000. Tout ce qu’il y a d’honnêtes gens et de bas peuple même blâme cette mesquinerie ceux qui m’ont rogné les ailes ne veulent pas qu’elles repoussent. »
Au fait, Cicéron devait se trouver heureux de recouvrer à peu près sa fortune entière ; les premiers proscrits, au temps de Sylla, avaient été traités tout autrement. Leurs biens avaient été vendus au profit des proscripteurs ou distribués à la populace. Quand la dictature de Sylla eut cessé, les enfans des proscrits purent rentrer à Rome ; mais, comme les émigrés en France à l’époque du consulat, ils y rentrèrent pauvres et dépouillés. Les lois qui les avaient spoliés furent maintenues, et les ventes déclarées inviolables. Cicéron prêta l’appui de son talent à cette transaction révolutionnaire : il s’opposa à ce que les domaines nationaux, comme on les appelait déjà, pussent être revendiqués ; il prononça un très beau discours pour exhorter ces malheureux à la résignation. Ce discours, il l’avait oublié sans doute, quand il eut à plaider pour sa maison. On le voit épuiser toutes les subtilités de la dialectique pour établir que la consécration n’avait pas été faite régulièrement : il suppute le prix des moellons et des briques, et marchande jusqu’aux dernier as. Ainsi dans les révolutions, toujours deux poids et deux mesures, même pour les esprits les plus droits. Cicéron avait d’ailleurs repris ses études littéraires et ses travaux du barreau. De nombreux cliens remplissaient chaque matin sa demeure,