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hommes supérieurs mettent entre eux pour ne pas se heurter : c’est le premier triumvirat. Puis les deux rivaux cessent de se contraindre ; l’armée de César passe le Rubicon, la république se réfugie dans le camp de pompe Impuissant à tenir la balance entre les deux adversaires, dont l’un, dit-il, ne veut pas de maître, et l’autre ne veut pas d’égal, Cicéron se décide pour ce qu’il appelle la bonne cause, sans la moindre illusion sur ce qui va suivre. « Il est certain, écrit-il, que le droit est avec Pompée, mais il est certain aussi que notre ami sera vaincu. Puis, après les hésitations qu’explique une vue tellement distincte et claire de l’avenir, il rejoint Pompée, et bientôt la bataille de Pharsale donne le monde à César. Cicéron n’imita point le stoïque Caton ; il ne se raidit point contre le sort ; sa nature, nous le verrons suffisamment, n’était point montée à l’héroïsme ; il se résigna en philosophe et chercha à apaiser le vainqueur. Pendant que Caton se déchirait les entrailles à Utique, Cicéron donnait à souper à César dans sa villa de Tusculum. Il désirait et redoutait depuis long-temps cette entrevue. Il voulait avoir une explication avec César, justifier sa conduite, faire de la politique enfin avec celui qui était alors le maître. César lui parla littérature.

« Eh bien ! cet homme si incommode, je suis loin de m’en plaindre en vérité ; — il a été charmant. — Il avait avec lui deux mille hommes, cela me fit trembler pour le lendemain ; mais on y pourvut en plaçant des gardes, et les soldats campèrent dans le jardin… Il fit une promenade sur le rivage ; à la huitième heure, il prit un bain. On lui lut les vers sur Mamurra, mais il ne sourcilla point se fit oindre et se mit à table. Comme il avait pris un vomitif, il but et mangea avec autant d’appétit que de gaieté, — services magnifiques et somptueux ; de plus, propos de bon goût et d’un sel exquis ; — enfin, si vous voulez tout savoir ; la plus aimable humeur du monde. Trois tables abondamment servies étaient préparées dans trois salles pour les intimes de sa suite. Rien ne manquait au commun des affranchis et aux esclaves ; — les affranchis principaux furent mieux traités encore. Qu’ajouter de plus ? On disait : Voilà un homme qui sait vivre ; — l’hôte que je recevais n’est pourtant pas de ceux à qui l’on dit : « Au revoir, cher ami ! et ne m’oubliez pas à votre retour ! » C’est assez d’une fois. — D’ailleurs, pas un mot d’affaires sérieuses, on n’a parlé que de littérature. — Cependant il a paru charmé de tout, et il était le plus aimable qu’on puisse imaginer. — Telle a été cette journée d’hospitalité, ou d’auberge, si vous voulez, qui m’effrayait tant, vous le savez, et qui n’a rien eu de fâcheux. »

Après la mort du dictateur, Cicéron sembla sortir de sa léthargie : il lutta contre Amine avec la même force d’invectives qu’il avait montrée autrefois contre Catilina ; mais, pour accabler Antoine, les philippiques ne suffisaient pas : il fallait des légions et un général. La république ne pouvait se défendre contre un des héritiers ne César qu’en se