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« Je le ferai si glorieux ; qu’on oubliera son origine. » Aux patriciens qui lui montraient les images de leurs aïeux, il disait ce mot, que plus d’un maréchal de l’empire a pu répéter de nos jours avec la même fierté : « Je suis un ancêtre, moi ! »

La carrière politique de Cicéron offre trois parties bien distinctes, qu’on retrouverait facilement dans la vie de la plupart des hommes parlementaires depuis, 1789 : — dans la première, il attaque le pouvoir ; dans la seconde, il possède ce pouvoir et le défend ; dans la troisième, il se résigne au mal dans la crainte du pire. — A bien aller au fond des choses, les célèbres plaidoyers contre Verrès ne sont qu’une attaque contre le patriciat, une censure amère des vices et des scandales de l’administration romaine. Les idées rigoureuses d’ordre et de probité dans la gestion de la fortune publique ne datent en France que de 89 ; elles étaient pareillement, à l’époque de Cicéron, une nouveauté sans précédens. Verrès n’avait guère fait plus ni autrement que ce que tous les gouverneurs romains faisaient par coutume ou par tolérance. Le gouvernement d’une province était une sorte de fief financier, où les patriciens romains allaient puiser ces énormes richesses dont les scandales et les excès étonnent l’imagination. Entre les mains des égoïstes et des voluptueux, ces richesses fournissaient à la table de Lucullus, aux jardins de Crassus, aux débauches d’Antoine ; les ambitieux s’en servaient pour nourrir, pour amuser, pour corrompre ce peuple romain, que ses victoires avaient fait le maître du monde. Là comme partout, la corruption était venue à la suite d’un système électif établi sur des bases trop larges. Il est si naturel, lorsque le riche sollicite le pauvre, le grand le petit, l’homme instruit l’ignorant, que ceux-ci cherchent à tirer quelque profit d’une situation momentanément intervertie, qu’ils veuillent mettre à prix une chose si hautement prisée ? Cette corruption inévitable était pratiquée dans des proportions dignes de la grandeur romaine. Que sont les dépenses d’un candidat au parlement anglais ou les marchés électoraux reprochés à nos députés, à côté des profusions de la Rome patricienne ? Ceux qui briguaient les charges publiques jetaient dans cette poursuite leur patrimoine entier ; il y avait une émulation ruineuse. On donnait au peuple des spectacles pour lesquels l’Afrique et l’Asie étaient mises à contribution ; on faisait venir d’Égypte et de Sicile des vaisseaux chargés de blé. César distribuait au peuple les trésors qu’il avait amassés dans les Gaules, et lui léguait par son testament soixante millions de notre monnaie. Ainsi donc, sous une forme ou sous une autre, ces grandes spoliations se répandaient sur le peuple : c’était là le tribut que lui payait l’univers ; c’est grace aux distributions publiques aux spectacles, aux largesses des patriciens que le citoyen romain menait cette vie oisive et opulente dont nous retrouvons les traces partout. Les théâtres, les bains, les jeux