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où elle occupa si long-temps cette première place que les Romains tenaient dans le monde ancien !

Origine, instincts et tendances politiques, préjugés même, tout confirme cette ressemblance et cette sorte de fraternité qui nous frappe entre Cicéron et la France nouvelle. Comme la France issue des flancs de ce vigoureux tiers-état qui, depuis des siècles, faisait la force du pays sans prendre part encore à son gouvernement, Cicéron sort de cet ordre intermédiaire des chevaliers romains, qui représentait ce qu’on appelle de nos jours les classes moyennes : il rompt les barrières qui s’opposent à leur légitime ambition, il partage avec l’aristocratie patricienne les grandes charges de la république, le gouvernement des provinces, il fait entrer au consulat un homme.nouveau. Les hommes nouveaux, voilà le tiers-état de la république romaine, voilà la révolution de 1789. On peut voir dans les auteurs du temps quelles résistances, quels combats Cicéron eut à soutenir pour arriver au consulat et faire triompher définitivement la classe qu’il représentait. Plus la république romaine étendait son empire, plus on voyait à découvert les vices d’un gouvernement où l’univers avait été livré à quelques familles patriciennes. Fortifier le pouvoir en l’étendant, le préserver des attaques violentes ou insensées. de la multitude en lui agrégeant une classe de citoyens nouvelle, active, pleine d’influence, occupant les emplois grands et petits de la magistrature, ayant la ferme des impôts à Rome et dans les provinces : telle fut la pensée politique de Cicéron, cette pensée générale et généreuse que tout homme qui aspire au pouvoir doit lier aux plans de son ambition personnelle sous peine de n’être qu’un ambitieux vulgaire. Cicéron, parvenu au consulat ; ne voulait pas y être arrivé seul : il voulait faire entrer avec lui dans le gouvernement de la république l’ordre entier des chevaliers romains ; il se glorifie constamment de leur appartenir ; il est leur chef avoué, leur protecteur en toute occasion, même quand ils ont tort, ce qui est le propre de l’esprit de parti[1]. Cette qualification d’homme nouveau que ses ennemis lui donnaient avec dédain, Cicéron s’en faisait un titre de gloire et surtout d’influence : c’étaient de nouvelles forces qui venaient concourir avec lui au gouvernement. « Ne changerez-vous pas ce nom obscur et ridicule de Cicéron[2] ? » lui demandait-on, et il répondait :

  1. Lettre 22. « Voici une autre prétention des membres de l’ordre équestre (il s’agissait d’un bail de ferme à résilier) qui vraiment n’est pas soutenable, que j’ai soutenue cependant et réussi à colorer… Le sénat, en les refusant, se les serait mis tous à dos ; aussi me suis-je empressé d’intervenir en première ligne ; je me suis fort étendu sur la nécessité de maintenir l’union entre les deux ordres, c’est le salut de la république. »
  2. On sait que cicer signifie pois chiche.