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hommes auxquels on ne refusait pas le bon sens et le courage eussent rêvé d’aussi abominables folies ; il défendait enfin Catilina en niant sa conjuration, et il la niait parce qu’il ne pouvait la comprendre. Aujourd’hui le moindre écolier entend mieux son Salluste que le savant président du siècle passé : — nous connaissons tous Catilina ; non-seulement il a conspiré, mais il a vaincu ; il a régné un jour sur Rome surprise et consternée : -ce jour-là la véracité de Salluste a été vengée. Son imagination n’avait donc pas prêté aux conjurés les odieux complots qu’il raconte ; tout paraissait invraisemblable, faux ou exagéré, il y a cent ans, pour des lecteurs tranquilles, au sein d’une société calme et régulière ; aujourd’hui, tout est vrai pour ceux qui sont jetés au milieu des mêmes complots, qui ont assisté aux mêmes saturnales. Il n’est pas jusqu’à ce ton déclamatoire, tant reproché à Salluste, qui ne vienne ajouter aux rapports des deux époques. Qui n’a présentes encore à l’esprit les pompeuses proclamations du gouvernement provisoire, ces grands mots vides de sens qu’on jetait au peuple le plus spirituel de l’Europe ? Audace des méchans, perversité des sophistes, crainte et faiblesse des gens de bien, nous n’avons plus à nous étonner de rien ; c’est ainsi qu’il en a été chez nous ! Nous savons comment on émeut le peuple sur un mot, et comment de cette émotion les habiles, avec un tour de main, font une révolution : ils nous l’ont dit eux-mêmes, et avec quelle audace ! Voilà les commentaires que l’histoire fournit à l’histoire, le passé et le présent s’éclairent l’un par l’autre.


I

Les lettres de Cicéron ont dix-neuf siècles de date ; le grand orateur vivait un demi-siècle avant Jésus-Christ. Ces lettres semblent avoir été écrites par un homme de nos jours, tant la ressemblance est frappante, non-seulement entre les événemens dès deux époques, c’est la ressemblance superficielle, — mais entre les pensées et les sentimens ! c’est sur celle-là que j’insistera, d’ailleurs, si elle se rencontrait, toute allusion à des personnages du jour ; ma pensée est plus sérieuse et la comparaison plus générale. Les personnages avec lesquels nous font vivre les lettres de Cicéron ne rappellent pas seulement quelques figures contemporaines, ils ressemblent à tout le monde, et chacun peut y reconnaître non-seulement son voisin, mais lui-même. Catilina, ce n’est pas tel ou tel des tribuns de l’Hôtel-de-Ville, c’est la tourbe des esprits factieux et chimériques,

Ce tas d’hommes perdus de dettes et de crimes.

Les Catons sont plus rares, j’en conviens cependant qui ne reconnaîtrait, dans ce caractère majestueux et inutile, quelques traits communs