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L’événement arriva selon les prédictions, en partie à cause des prédictions ; tous les esprits se trouvaient avertis et préparés ; ceux qui applaudissaient à la chute des Bourbons et ceux qui la déploraient l’avaient également contemplée depuis quelques années comme l’espoir ou la catastrophe inévitable de l’avenir ; avec un accent différent, tous s’écriaient : « Nous l’avions bien dit ! »

Pendant dix-huit années d’un règne florissant, la comparaison a pu continuer. Rien n’y manquait, pas même, comme on l’a dit sans flatterie, la prudence et la fermeté d’un autre Guillaume ; mais la Providence ne renferme pas l’infinie variété de ses desseins dans des symétries historiques. La révolution de février a coupé court aux comparaisons : disons plus, entre deux nations, dont l’une aboutit, par ce qu’on a appelé le régime parlementaire, au gouvernement des Pitt, des Canning et des Peel, l’autre aux folies du gouvernement provisoire et aux étranges conceptions de l’assemblée constituante, les rapports étaient sans doute plus apparens que réels. Nous avions emprunté les noms et les formes ; nous n’avions pu prendre en même temps l’esprit, qui seul donne la vie aux institutions politiques. Un moment les deux sociétés s’étaient rencontrées et s’étaient jointes dans la même voie ; mais c’étaient deux lignes perpendiculaires qui se croisent, et non deux lignes parallèles qui se suivent. La révolution anglaise était née de l’esprit religieux, des passions religieuses, si l’on veut ; la révolution française, de la philosophie et des sectes économiques du dernier siècle. Là peut-être est le secret de leurs destinées si différentes. Comment de ces origines opposées arriver à un résultat commun ? — Quoi qu’il en soit d’ailleurs du passé, l’histoire d’Angleterre n’a plus d’exemple pour notre situation présente, et cependant, dans la profonde nuit qui nous s cache notre destinée> de demain, hors de toutes les voies battues, dans ces chemins ténébreux dont parle Dante et qui déconcertaient son courage, nous voudrions retrouver quelque trace qui témoignât que d’autres avant nous ont passé par ces sombres défilés. Ce n’est pas le danger, mais je ne sais quelle solitude étrange au milieu de l’inconnu, qui effraie l’esprit humain. Si à d’autres époques le monde a souffert des maux semblables, s’il a traversé les mêmes épreuves, et si cependant il n’a pas péri dans la lutte ; si la vigueur du bon sens, si la santé de l’ame se sont retrouvées entières après des secousses qui semblent devoir laisser à jamais le trouble au fond des intelligences comme au fond des sociétés, — alors nous arrivons à contempler nos malheurs présens avec autant de douleur sans doute, mais avec plus de calme : si cette génération doit périr, le monde n’en reviendra pas moins à la lumière, le genre humain reprendra le cours de ses destinées ; c’est une épreuve qui finira, ce n’est pas le fin de toutes choses !