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LA BAVOLETTE.

funéraire en couvrait la façade ; des tentures noires pendaient le long des murs. Les passans entraient comme en un lieu public et sortaient avec des airs consternés. Toutes les portes étaient ouvertes. Claudine pénétra jusque dans la chambre à coucher, illuminée par des cierges. Sur un lit de parade, elle aperçut le corps de Marion couvert d’habits magnifiques. La mort n’avait point altéré son beau visage. Elle semblait dormir. Quelques personnes priaient autour du lit, mais Claudine ne remarqua parmi elles aucun des adorateurs frivoles de la femme à la mode. Un sanglot déchirant lui fit tourner la tête vers un homme prosterné à côté d’elle, et qui portait le petit collet. La douleur de cet homme paraissait si profonde que Claudine en eut les larmes aux yeux. Dans ce moment, l’abbé se releva, et, voyant l’émotion de sa voisine, il lui dit en lui prenant la main :

— Si vous l’avez connue, vous l’avez aimée, mademoiselle, et vous partagez mes regrets.

— C’était ma seule amie, répondit Claudine.

— Ah ! mademoiselle, reprit l’homme au petit collet, que n’ai-je pu donner dix ans de ma vie pour prolonger la sienne ! Elle ne m’aimait point. Elle m’a mis cent fois au désespoir par ses mépris et son indifférence. Jamais le dévouement le plus tendre n’a pu trouver grâce pour ma laideur dans cet esprit léger ; mais que ne suis-je encore en butte à ses railleries ? Qui me rendra ses dédains, ses cruautés avec sa présence ? J’aurais fini par toucher quelque jour ce cœur ouvert à tant d’autres et fermé pour moi ; et quand elle n’eût jamais dû s’attendrir en ma faveur, je trouverais plus doux de mourir à ses genoux que de vivre sans elle, comme je vais le faire.

Celui qui regrettait ainsi Mlle de L’Orme était un garçon de trente-six ans, petit, mal fait, avec de gros sourcils fort mobiles qui lui donnaient un masque de comédie. Cependant la passion prétait à son visage quelque chose de touchant qui n’était pas sans agrément. Il demanda humblement à Claudine la permission d’aller la voir pour l’entretenir de la défunte et chercher des consolations près d’une personne qui partageait son chagrin. À cet effet, il déclina ses noms et qualités :

— Je suis, dit-il avec vivacité, Claude Quillet, abbé, médecin, poète, secrétaire de M. le maréchal d’Estrées. admirateur exalté de tout ce qui est beau, et par conséquent votre serviteur, mademoiselle.

Claudine dit à M. Quillet son nom et sa demeure, lui fit une révérence, et se retira suivie de sa prude-femme. Dès le lendemain, l’abbé accourut à Saint-Côme. Il revenait du convoi de MUE de L’Orme, dont il raconta les détails avec tant de larmes, que son rabat en était baigné[1]. L’intérêt que lui témoignait Claudine, en partageant sa

  1. Marion de L’Orme fut enterrée le 1er juillet 1650, selon les gazettes du temps.