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LA BAVOLETTE.

savait en quel endroit marcher, avec ses souliers ferrés, pour ne point gâter les tapis. Une porte dérobée s’ouvrit en face de lui, et il vit paraître un jeune homme blond et petit, mais d’un port tout-à-fait héroïque et d’un visage singulièrement fier.

— Êtes-vous le père de Claudine Simon ? demanda le prince.

— Oui, monseigneur, répondit le paysan ; je m’appelle Simon, nourrisseur à Saint-Mandé.

— Qu’est-il donc arrivé à votre fille ?

— Je ne saurais vous le dire au juste, monseigneur.

— Alors, que diable me voulez-vous ?

— Voici ce que c’est, monseigneur. J’étais sorti dès le matin pour aller chez une personne à qui ma femme fournit du lait depuis vingt quatre ans. Cela commence à compter, vingt-quatre ans ! Aussi j’espère obtenir une avance d’argent, car les temps sont durs, et la guerre nous a ruinés.

— Supprimez ces détails inutiles et allez au fait, interrompit M. le prince.

— Le fait, monseigneur, reprit Simon, le fait important n’est pas qu’un nourrisseur de plus ou de moins soit ruiné, pourvu que monseigneur et le roi notre maître se portent bien. J’étais hors du logis, voilà le fait. Je rentrais à la brune, et non pas ivre, comme le disent mes ennemis. Que m’apprend-on ? Que ma fille Claudine, mon seul bien, a été vue en habits de soie magnifiques, avec un bracelet d’or et de pierreries à son bras ; qu’un carrosse gris, comme sont ceux de louage, s’est arrêté devant ma pauvre maison, s’en est allé tout aussitôt, et que depuis on n’a plus revu ma fille.

— Eh bien ! mon ami, je ne puis rien à cela. Claudine a manqué à ses devoirs ; on l’aura séduite. Je ne doute point que sa vertu n’ait beaucoup résisté. L’amour l’aura emporté dans son cœur sur les scrupules. Il faut de l’indulgence pour les faiblesses des filles. Si la vôtre revient, pardonnez-lui. Je l’excuse et je vous plains, mais je ne puis me mêler de cette affaire.

— Si votre altesse s’en veut mêler, reprit le paysan, je ne la trouverai point indiscrète.

— J’entends bien, répondit M. le prince en riant. C’est moi qui ne veux point m’en occuper, non pas par indifférence, car j’aimais Claudine, et j’apprends avec chagrin qu’elle n’est plus sage.

— Pour sage, monseigneur, je n’ai point dit qu’elle ne l’était plus.

— Maudit homme ! ne peux-tu parler catégoriquement ? Ta fille a-t-elle été débauchée, oui ou non ? Ne viens-tu pas de me raconter qu’elle avait quitté volontairement ton logis ?

— Oh ! que nenni, monseigneur. Les commères assurent qu’ont, Ta prise, qui par les pieds, qui par la tête. Est-ce là quitter volontairement un logis ?