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Faire passer la France de l’ancien régime à la monarchie constitutionnelle aurait été moins difficile que d’imposer la royauté des Bourbons au pays qui les avait deux fois proscrits, et de donner des mœurs libérales à la génération qui avait grandi sans autre foi que celle de la force, sans autre culte que celui de la gloire. C’est vers, ces institutions pondérées qu’inclinera dans tous les temps l’esprit de la bourgeoisie, parce que ce mode de gouvernement tend à fonder la hiérarchie sociale sur la double base des intérêts et des lumières. Plus la société sera dominée par le mouvement démocratique, et plus elle s’écartera de ce type plus les classes, éclairées domineront, dans la nation, et plus elles feront d’efforts pour s’en rapprocher. Cette formule ne s’applique pas moins rigoureusement au passé qu’à l’avenir.

Comment arriva-t-il que la bourgeoisie, pleinement maîtresse à ses débuts du mouvement de 89, ait permis qu’il changeât si promptement de nature entre ses mains ? Sous quelles influences le tiers-état démantela-t-il pièce à pièce la royauté, qu’il avait reçu de l’unanimité de ses mandataires mission de conserver puissante, à laquelle la grande majorité de ses membres portait d’ailleurs attachement et respect ? Par quels motifs promulgua-t-il des institutions manifestement incompatibles avec un gouvernement pondéré comme avec ses propres intérêts ? Comment la république sortit-elle enfin d’une crise d’où la France entendait faire sortir la régénération de la monarchie ? Ici nos communs malheurs s’expliquent par nos communes fautes, et c’est surtout dans un temps où l’on appelle tous les partis honnêtes à s’unir pour sauver la société compromise, qu’il importe d’étudier l’enchaînement des constances par lesquelles chacun d’eux se trouva poussé en dehors de ses propres voies.

Ce qui saisit d’abord dans le cours de la révolution française, c’est l’entraînement exercé par les événements sur les volontés. On n’allègue pas d’autre explication pour les faits, on ne cherche pas d’ordinaire d’autre excuse pour les fautes. Du jour où Louis XVI ouvrit l’assemblée des états-généraux, entouré de toutes les pompes royales, jusqu’à celui où la république fut acclamée au 10 août, les partis n’ont pas cessé, dit-on, d’être dominés par une force supérieure à leur force propre, et leurs actes ont été moins souvent l’expression de leurs pensées que de leur situation. Si l’on vit les citoyens auxquels leurs cahiers avaient donné la mission expresse de fonder la liberté sur la monarchie faire à la royauté une guerre qui devait aboutir à sa ruine, ne faut-il pas se rappeler qu’un désastreux concours de circonstances leur fît considérer cette royauté comme hostile à la révolution, et comme aspirant à se débarrasser par les armes de la représentation nationale ? si l’assemblée constituante eut des acclamations pour les