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exagérée : c’était là ce qu’il y avait de réalisable et de véritablement pratique dans les idées dont le cours fut si malheureusement abandonné à lui-même ; mais, au lieu d’ouvrir à la régénération du pays une issue naturelle en abordant les questions par leur grand côté et en sacrifiant M. de Brézé pour sauver le roi, on immola sans résistance les grandes choses pour défendre avec opiniâtreté les petites. Au lieu de marcher vite sur des charbons ardens pour ne s’y point brûler, on propagea l’incendie par une conduite vacillante et dilatoire. On opposa des lenteurs à des impatiences, au risque de les faire dégénérer en implacables colères ; l’on s’entoura d’esprits médiocres lorsqu’il aurait été facile de s’emparer au début d’hommes puissans et populaires qui auraient donné prise au pouvoir par leurs vices autant que par leurs grandes qualités ; on perdit, en un mot, dans l’opinion publique, l’honneur de la résistance aussi bien que le mérite des concessions, et le gouvernement de l’un des princes les plus sincèrement aimés qu’ait eus la France ne se trouva en mesure d’exercer aucune action sur les partis, lorsque tous invoquaient à l’envi son arbitrage.

Si, au mois de mai 1789, la couronne s’était résolue à limiter elle- même son pouvoir en y associant pour l’avenir deux assemblées délibérantes, si elle s’était jetée résolûment dans les bras des patriotes éclairés qui ne croyaient pas que la France dût repousser la monarchie représentative par la seule raison que l’Angleterre devait à cette forme de gouvernement sa forte et glorieuse liberté, si elle avait pris, pour résoudre les questions fondamentales, toute la peine qu’elle prit pour les empêcher d’aboutir, elle aurait trouvé dans la majorité des trois ordres un appui solide et permanent. Il suffit, pour en rester convaincu, d’étudier les dispositions premières de l’assemblée, avant que l’inquiétude peu fondée, mais générale, sur des projets prêtés à une cour qui n’en avait aucun, eût conduit la constituante à se laisser diriger par quelques tribuns et à subir l’influence des grossiers préjugés de la foule. Si un homme politique avait occupé le trône ou s’était seulement trouvé placé à ses côtés, la France se fût reposée un quart d de siècle plus tôt à l’ombre des fécondes institutions qu’elle accueillit avec bonheur en 1814, dont la forme survécut à la révolution de 1830, et qu’à la veille de la crise de 1848 tout le monde s’accordait à proclamer conformes à ses besoins et à son génie.

Il n’y aurait même rien de paradoxal à maintenir qu’un établissement constitutionnel appuyé sur deux chambres aurait été fondé en 1789 dans ces conditions bien moins précaires qu’après la révolution et l’empire. Si quelque chose a nui parmi nous à la pratique des institutions libres, ce sont assurément les souvenirs que nous a légués anarchie et les habitudes d’esprit que nous a laissées le despotisme.