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donc pour la noblesse à une véritable abdication aux mains du tiers-état, certain de demeurer maître de toutes les délibérations.

L’état des esprits et les périls de la chose publique avaient rendu sans doute cette abdication nécessaire, mais elle ne pouvait être honorablement réclamée que par le seul pouvoir auquel l’aristocratie française faisait profession de n’avoir rien à refuser. Cependant les conseillers de Louis XVI n’avaient pas plus d’avis sur cette question que sur la plupart de celles qui s’élevèrent bientôt après. Le discours du roi à l’ouverture des états-généraux, son allocution à la séance royale du 23 juin, la diffuse harangue de M. de Barentin, l’exposé de M. Necker non moins vague sur cet article, ont constate que le malheureux prince était comme son gouvernement, sans idées arrêtées sur le mode à suivre dans les délibérations aussi bien que sur la direction qu’il convenait de leur imprimer. Durant six mortelles semaines, le problème du mode de vérification mit l’assemblée dans une fermentation plus funeste à la monarchie que n’auraient pu l’être les résolutions les plus désastreuses. Loin de faire de sérieux efforts pour terminer cette déplorable crise, le ministère la compliqua par des négociations incohérentes et les procès-verbaux des conférences tenues chez le garde-des-sceaux pour amener entre les ordres une conciliation qui devenait impossible du moment où la royauté hésitait à l’imposer prouvent que la résolution comme le génie ne manquaient pas moins aux magistrats devenus ministres qu’aux banquiers transformés en hommes d’état.

Si la royauté avait eu et la conscience de sa force et celle de sa mission, elle aurait profité de la popularité passagère peut-être, mais certaine, que lui aurait donnée une intervention opportune dans l’affaire de la vérification, pour soumettre a l’assemblée qui s’ignorait encore elle-même, un projet de ses lumières. Transformer une caste inabordable en un corps politique facilement accessible à toutes les supériorités naturelles, faire rentrer la noblesse dans le droit commun sans renoncer à profiter de son dévouement héréditaire et de ce qu’elle conservait encore d’influence locale, empêcher la chaîne des temps de se rompre pour n’avoir pas un jour à la renouer, telle était la tentative à laquelle son propre intérêt conviait la royauté.

L’établissement de deux chambres, dont la première aurait réuni les personnages les plus éminens des anciens ordres privilégiés et toutes les illustrations nationales, dont la seconde, recrutée par l’élection, aurait laissé à la noblesse la chance d’y balancer souvent l’ascendant de la bourgeoisie, une organisation provinciale assise sur des bases analogues qui aurait prévenu le développement d’une centralisation